Il y aura bien un nouveau péage au Pré de Mme Carle !

Annoncé dès cet automne, à partir de cet été, il vous faudra mettre la main à la poche pour accèder au stationnement du célèbre Pré de Madame Carle. Le péage sera de 2 € pour 48 h avec des badges pour les professionnels (guides, travailleurs en refuges ou au parc, etc.). 

Indépendamment de son bien-fondé ou non, cette décision a un impact sur toute la vallée et elle s'inscrit dans la problématique plus large de l’accueil aux portes d’entrée du Parc National des Écrins (Pré de Madame Carle, Entre les Aygues, vallon du Fournel, Dormillouse) et de la maîtrise des flux des visiteurs. Elle présente des avantages mais aussi des inconvénients qui se répercutent sur l’ensemble de la vallée.

Le débat n'est pas nouveau et préfigure,sans doute, les PN français de demain à l'image de ce qui se pratique ailleurs...
Une telle décision devrait donc s'inscrire dans les orientations touristiques du Pays des Écrins. Car, plus qu'une décision d'ordre financier, il s'agit surtout d'une décision d'ordre touristique pouvant impacter l'image du PN du Pays des Écrins et nécessitant de ce fait une démarche concertée et une communication adaptée.

Nos amis de Vallouimages et Vallouise info ont fait le point dans un très bon article sur cette affaire. Voici comment ils présentent la situation.

"La problématique est simple : d'un côté, ça coûte cher à la commune, le parking est à réaménager, des toilettes sèches sont à construire et le chemin d'accès aux glaciers emporté par les crues des derniers étés est à refaire ; d'un autre, la majorité des visiteurs à la journée résident en dehors de Pelvoux et souvent hors de la vallée et ne consomment pas localement. Il n'y aurait donc pas de recettes locales indirectes suffisantes pour financer les travaux d'aménagement ou d'entretien.
Avec de l'ordre de 95 000 visiteurs par an, le Pré de Madame Carle est le site le plus visité des Hautes-Alpes. Le nombre moyen de véhicules sur le parking en été est de l'ordre de 400 par jour avec des pointes à plus de 800 aux alentours du 15 août.

Il y a en moyenne 2,61 personnes par véhicule. Les navettes existantes, car il en existe déjà, n'ont pas eu d'impact significatif sur le nombre de véhicules. 82 000 visiteurs commencent à marcher (la dalle de comptage est située avant la première passerelle), soit près de 900 personnes par jour qui empruntent le sentier, donc 1800 passages journaliers.
Pour éviter le parking payant il faudrait donc trouver d'autres ressources. Le Pré de Madame Carle est un site touristique majeur. C'est un site d'intérêt départemental, régional, national (le plus visité d'un parc dit national). Le site participe à l'économie touristique et à l'attractivité du département et de la région qui en tirent des recettes indirectes et qui devraient donc participer au financement de sa mise en valeur.
Comme écrit par un correspondant : « Plein de communes de la Haute-Durance profitent des retombée économiques sans devoir gérer les nuisances : certaines qui n'ont pas le même site ont plus d'argent parce que plus de place et plus de restos pour accueillir des vacanciers ; d'autres n'ont plus ni argent ni vacanciers parce qu'elles ne sont pas assez fun pour les sportifs et trop rustiques pour les nouveaux vacanciers montagnards... » "

Le reste de l'article, très instructif, fait le point sur la partie juridique des tarifs d'une possible navette et nous rappelle que d'autre péages éxistent. Car, le moins que l'on puisse dire avec ces histoires de parking payant pour limiter l'accès aux sites de loisirs sportifs de nature, c'est que le débat dure depuis des années et les justifications écologiques politiquement correctes se heurent systématiquement aux impératifs de développement touristique.

Nous avons donc fouillé nos archives et vous proposons de relire la publication de Lionel Laslaz, chercheur et maître de conférences à l'université de Savoie dont voici quelques extraits. Elle date de 2007 et visait à dénoncer le dispositif des écotaxes lors des 6ème Rencontre "tourisme et territoire" de Mâcon. On y évoquait déjà le parking du Pré  !

« Vous prétendez restreindre la fréquentation de ce massif à une élite méritante et vous ne cessez d’agrandir et de moderniser ses refuges. Vous entendez protéger le sanctuaire de la vie sauvage et vous ne cessez de chanter les vertus de vos parcs comme pour y attirer les foules. Singulières contradictions »
R. CANAC, 1985 : Vivre ici en Oisans, Glénat, p. 15


Cette citation extraite d’un ouvrage de R. CANAC illustre bien une des nombreuses contradictions des Parcs nationaux, entretenant de manière plus ou moins délibérée ou tacite une fréquentation qu’il dénonce parfois, la restreignant par différentes mesures. Les éco-taxes y contribuent. Elles ne sont pas spécifiques aux espaces protégés, et les Parcs nationaux alpins français (Vanoise, Ecrins, Mercantour) étaient jusque là à l’abri de ce type de pratiques, alors même qu’elles sont systématiques dans les Parcs d’Amérique du Nord ou d’autres régions du Monde.

Les éco-taxes « visent à modifier le comportement des producteurs et des consommateurs en intégrant le coût des dommages environnementaux dans le prix du produit à l’origine de la pollution » (I.F.E.N., cité dans Espaces Naturels, n°5, janvier 2004, p. 4). Cette fiscalité de l’environnement contribue à 2 % de la richesse nationale et le touriste doit donc payer pour réparer les dommages potentiels qu’il peut infliger au milieu. A la base, le postulat est donc l’opposition entre homme et nature et le caractère de prédation du premier sur la seconde. La valeur que confère la société à un espace se trouve renforcée par l’attribution d’une valeur monétaire en gage de droit d’accès à un espace rare (d’où la mesure) et menacée (d’où son caractère limitant). Ainsi, on ne cesse de gratifier ces espaces de toutes les qualités, et en parallèle on en limite l’accès par le prix. Il y a là un jeu schizophrène qui consiste à diaboliser le tourisme tout en tirant partie et en arguant des retombées économiques qu’il occasionne.


Fig. 3 : Le Pré de Mme Carle et son aménagement d’un parking de 700 à 1000 places, avec en arrière plan le fameux Glacier Blanc. La reconfiguration du parking avec des pierres venues du Portugal (pour 1,9 million de francs) a provoqué de vives tensions entre la direction du Parc et ses détracteurs.


C’est aussi un choix de sites touristiques, certains « grands » sites doivent être protégés de cet afflux, d’autres peuvent continuer à être « assiégés » sans problème.
 B. PATIN et H. NICOLAS indiquent que le Pré de Mme Carle (Vallouise, Parc national des Ecrins) reçoit 300 000 visiteurs, dont 150 000 du 14 juillet au 15 août. L’accès est presque exclusivement automobile avec près de 100 000 véhicules en 150 jours avec des pointes à 500 véhicules/jour en saison. Les dégradations « nuisaient à l’image paisible et sauvage [sic] du lieu » ; il est vrai que rien n’est plus « sauvage » qu’un parking dont la capacité a récemment été portée à sept cent places, régulièrement survolé par les hélicoptères du secours en montagne. L’Etablissement Public fait le choix des aménagements « réversibles » : « si nos successeurs et nos enfants souhaitent rendre au pré de Mme Carle son état original, tout est « démontable » sans difficulté » ! [notons qu’il est déjà bien que ce ne soit pas le terme « originel » qui soit employé !]. L’« insertion » dans le paysage est également retenue, avec outre le parking, une aire d’accueil de 2000 m2 empierrée, avec réhabilitation de 2 km de sentiers. Aménagements lourds pour l’accueil touristique « massif », régulation de ce dernier, interdiction coexistent donc dans le même Parc national. Et malgré les discours officiels, les Parcs nationaux cherchent aussi à apparaître comme des acteurs économiques locaux. Les éco-taxes servent ainsi le discours qui consiste à dire que les Parcs nationaux « coûtent de l’argent » et qu’ils doivent donc en rapporter. Pour cette raison, entre autres, il n’y a pas d’unanimité de la part des « défenseurs » de l’environnement (pour certains partisans de la circulation libre et gratuite en montagne) autour de ces mesures.

Les Parcs Nationaux sont-ils à l’avènement des éco-péages ?

A compter du 1er juillet 2005 et durant les deux mois d’été, le parking du Laus (Allos, Parc national du Mercantour) est payant (cinq euros par véhicule de 9 h à 17 h). En 1991, il accueillait 40 000 visiteurs en juillet-août, et plus de 400 véhicules sur le parking et la route d’accès. Un parking gratuit a été aménagé dans la forêt trois kilomètres en aval. Pour la première fois dans l’histoire des parcs nationaux alpins français, un parking est payant. « Il y avait trop de monde, les gens se garaient n’importe où et gênaient la circulation » assure-t-on à la Maison du Parc de Colmars-les-Alpes pour justifier une mesure « impopulaire ». A titre de comparaison, le Pont d’Espagne (J.-M. Diano in B. Mouton dir., 2000) est situé à la confluence des vallées de Gaube et de Marcadeau, en zone centrale du Parc national des Pyrénées. Un programme d’aménagement (1992) en a fait le premier parking payant des Parcs nationaux français. L’auteur concède : « des difficultés ont été rencontrées, les premières années, pour faire admettre le principe de péage (surtout auprès des locaux) ».
Les espaces protégés de montagne sont parmi les derniers espaces gratuits, par rapport au ski qui devient de plus en plus ségrégatif, et aux activités touristiques diverses. Les étudiants ou les chômeurs ont aussi le droit de randonner. Pour certains membres de Mountain Wilderness, association de défense de la montagne rassemblant à l’origine surtout des alpinistes, « c’est plus du racket que de la protection de l’environnement » (S. Dulout, cité in AlpiRando, 2003, n° 249). Dans le cas du cirque du Fer à Cheval (commune de Sixt, Haute-Savoie), une Opération Grand Site de France (retenue en 1993), initiée en 2001, a conduit à interdire l’accès automobile à proximité du cirque (B. Feuillet, 2005). Les parkings en aval du site entrent en service en juillet 2001, avec droit de péage. La boucle de bitume permettant aux véhicules de circuler au bas du site est retirée. Le but est d’assurer des retombées économiques de la fréquentation touristique estivale forte (cars d’organismes de voyages), qui jusque là se traduit par le passage par le chef-lieu sans véritable incidence commerciale. La convention d’Opération Grand Site de 2001, arrivée à terme en 2004, n’est désormais plus valable et l’O.G.S. est arrêtée. La pression de la commune et la volonté de l’Etat de démontrer les remontées économiques d’une opération de protection comme celle d’un Grand Site de France, par ailleurs très contraignante localement, expliquent ces mesures. Dans le cas du cirque de Saint-Même (Parc naturel régional de Chartreuse), la communauté de communes des Entremonts en Chartreuse, qui gère le site, annonce dans ces tracts, distribués au péage d’entrée du parking : « pour préserver ce site, nous avons décidé d’en réguler la fréquentation par un stationnement limité et payant ». Là encore, c’est l’impossibilité de gérer les flux touristiques et une forte fréquentation de citadins (bassins grenoblois et chambérien) qui incite au financement des aménagements par un péage d’accès.

Au final, ces éco-taxes posent la question de la conception des espaces publics, de la liberté de mobilité au sein d’espaces communs. Les conflits autour des usages et des pratiques de la montagne alpine se multiplient, que ce soit en été (pratique du VTT ou des sports de plein air dans le coeur des Parcs nationaux) ou en hiver (volonté d’imposer un forfait pour la pratique des raquettes ou du ski de randonnée), mais aussi sur toute l’année, comme la circulation des véhicules à moteur dans les espaces « naturels » (L. Laslaz, 2007).
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Le document source
Lionel Laslaz
Maître de conférences
Équipe « Territoires de montagne »
Adresse :
Laboratoire EDYTEM - UMR 5204 du CNRS -
« Environnements, Dynamiques et Territoires de la Montagne »
Bâtiment « Pôle Montagne » ,
Campus scientifique, Université de Savoie
F-73376 Le BOURGET DU LAC Cedex

THÈMES DE RECHERCHE

  • Espaces protégés de montagne
  • Activités touristiques en montagne
  • Espaces ruraux et agriculture de montagne

POINTS FORTS DES ACTIVITÉS DE RECHERCHE

  • Polémogéographie : conflits d’usages et environnementaux dans les espaces de montagne
  • Acceptation sociale des politiques de protection des patrimoines
  • Processus de mise en tourisme en montagne

Sources :

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