Nous avons reçu cette semaine de l’ONF un courrier d’information (datant de mars quand même !) sur la responsabilité des auteurs et éditeurs de topo-guides avec un rappel insistant sur les réserves biologiques intégrales de la forêt de Fontainebleau. Ce courrier s’inscrit dans la continuité de la judiciarisation de ses relations avec les usagers de la forêt ! Il est la conséquence directe des premiers travaux des groupes de travail de la nouvelle commission d’escalade bellifontaine dont nous parlions en juillet 2022. Par ailleurs, vous croiserez sans doute comme Bart les premiers panneaux sensés définir les zones d’escalade que l’ONF souhaitait préalablement qualifier d’ « autorisées » et qui soulèvent à ce stade plus de question qu’il n’en résolvent ! Petit point juridique.


Dans son courrier d’information aux diffuseurs de topoguides, l’ONF agite l’épouvantail de poursuites sur la base de l’article 1240 du code civil par lequel, le diffuseur d’information sur l’escalade en Réserve biologique dirigée RBI pourrait voir sa responsabilité engagée en cas d’accident d’un grimpeur au sein d’une RBI !

page 2 du courrier ONF sur la responsabilité des
auteurs de topos à propos des RBI


Que disent cet article et les suivants : Art. 1240 CC "Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer." Et Art. 1241 : "Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence".

Rappelons quand même aux juristes de l’Office que pour que la responsabilité civile délictuelle soit mise en œuvre, il faut la réunion des trois mêmes éléments que pour la responsabilité civile contractuelle : une faute ; un dommage ; un lien de causalité entre la faute et le dommage. Ce n’est pas gagné et ce d’autant plus que la majorité des topos et sites internet topographiques affichent très clairement un avertissement à leurs lecteurs sur ce sujet (nous les premiers, il est tout en bas à gauche) !

S’agissant des réserves biologiques classées comme telles pour leurs richesses faunistiques et floristiques, nous aurions aimé que l’office rappelle plutôt le chapitre 3 de cette même réglementation notamment les articles 1246 à 1252 du code civil sur la réparation du préjudice écologique qui sont plus à propos :

- "Toute personne responsable d'un préjudice écologique est tenue de le réparer. (1246)

- Est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement. (1247)

- L'action en réparation du préjudice écologique est ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir, telle que l'Etat, l'Office français de la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné, ainsi que les établissements publics et les associations agréées ou créées depuis au moins cinq ans à la date d'introduction de l'instance qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l'environnement". (1248)

Rappelons aussi aux juristes de l’ONF, que nos publications tombent sous le coup de la loi sur la liberté d’expression qui est un droit dont l’exercice ne revêt un caractère abusif que dans des cas spécialement déterminés par la loi (1re civ., 10 avril 2013, pourvoi n° 12-10177, Bull. 2013, I, n° 67). Il s’ensuit que, hors restriction légalement prévue, l’exercice du droit à la liberté d’expression ne peut, sauf dénigrement de produits ou services, être sanctionné sur le fondement de l’article 1240 du Code civil (1re civ., 2 juillet 2014, pourvoi n° 13-16730, Bull. 2014, I, n° 120 et Cass. 1re civ., 25 mars 2020, no 19-11554)

Bon, en tout état de cause, nous demandons instamment aux bleausards de ne pas grimper (et donc ouvrir de blocs) dans les Réserves Biologiques Intégrales dont vous trouverez la carte à jour ci-dessous avec les numéros de parcelles concernées. Notez aussi que sur Bleau.info, la nature des secteurs sensibles est aussi précisée  notamment les RB (réserves biologiques dirigées) RBI, mais aussi réserves de chasse (Rdc), propriétés privées (PP) et les sites interdits par leurs propriétaires (X)

Ainsi, depuis peu, les descriptions des secteurs en RBI (Mare aux corneilles, Rocher de la Combe, les Béorlots) et les blocs qu'ils contenaient ont été retirés de la base de Bleau.info Bravo Bart !

Carte des réserves biologiques intégrales (RBI)


Quant aux petits panneaux verts informant de l’entrée sur un « site d’escalade », on peut légitimement s’interroger sur leur signification d’une part et leur portée géographique d’autre part. En effet, comme le signalait Bart sur les réseaux sociaux, ce panneau photographié dans les Gorges d’Apremont ne nous informe pas des limites de la zone et certains secteurs d’escalade dans les Gorges se situent dans des zones non autorisées au balisage des circuits d’escalade mais quand même décrites dans les topoguides et sites web.

Nous allons donc avoir en forêt domaniale de Fontainebleau des zones d’escalade « officielles », c’est-à-dire reconnues comme telles par l’ONF et donc supposément aménagées et sécurisées et des zones non officielles qui s’apparenteraient plus au terrain d’aventure de la FFME. C’est là aussi le résultat de la volonté de l’ONF d’être déchargé de sa responsabilité en cas d’accident. Pourtant les dernières évolutions juridiques sur la responsabilité introduite par la loi n°2022-217 et l’art. 311-1-1 du code du sport (voir notre article sur ce sujet) ont déjà déchargé de gardien de l’espace naturel (ici l’ONF) de sa responsabilité en cas de dommages causés à un pratiquant de sport de nature, sur le fondement de l’art 1242 du code civil, lorsque ceux-ci résultent d’un risque normal et raisonnablement prévisible

Encore faut-il définir ce qui est normal et raisonnable. Si l’on peut considérer que tous les accidents d’escalade de bloc sont à priori envisageables de manière « normale et raisonnable » (chutes, prise qui casse, etc.), les dommages qui résulteraient d’un effondrement du chaos rocheux ou de la chute d’un arbre ne le sont pas et on peut comprendre la volonté de l’ONF de se prémunir de poursuites dans de tels cas. 

Mais du coup, cela signifie que tels risques doivent être quasi exclus des sites « officiels », aménagés et sécurisés. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’ONF a procédé à l’abattage de très nombreux arbres au cœur des sites d’escalade. L’office a ouvert la boîte de Pandore et mis le doigt dans un engrenage tout aussi dangereux pour lui ! Officialiser ces secteurs engendre une obligation de sécuriser le site donc, juridiquement, à minima, de moyens, à défaut d’une obligation de résultat. Il y a donc fort à parier que les aménagements lourds et sécuritaires, par mesure de précaution, vont se poursuivre dans ces sites. C’est déjà le cas à l’Eléphant ! Reste que concentrer les grimpeurs sur de si petites zones entraînera encore plus d'érosion et des impacts environnementaux  très forts et que pour en limiter les conséquences, il faudra y réaliser toujours plus de travaux et y mettre beaucoup de moyens. A moins de limiter encore d'avantage la fréquentation... au détriment du développement touristique du Pays de Fontainebleau et des usagers locaux.

Restera quand même pour les grimpeurs, les sites hors domaniale !


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