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Rédaction TL²B
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vendredi, février 25, 2022
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Depuis quelques années, les parapluies administratifs s'ouvraient de toutes parts pour protéger les propriétaires et gestionnaires de sites naturels à la suite de divers procès dont celui qui avait conduit la Fédération Française de Montagne et d'Escalade (FFME) à se désengager massivement de sites naturels. Au-delà des polémiques qui ont accompagné le déconventionnement des falaises par la FFME le long combat mené pour modifier la Loi a enfin abouti après plusieurs échecs. En effet, loi N° 2022-217 du 21 février 2022 d’accélération et de simplification de l’action publique, un amendement a été promulguée insérant dans le code du sport l'article tant attendu exonérant partiellement les propriétaires et gestionnaires de leur responsabilité.
Cet article est donc une simple mise à jour de notre précédente publication d'octobre 2020 et une nouvelle fois, on va vous infliger une bonne dose de laïus juridique mais à l'heure où certains s'étaient improvisés épidémiologistes du dimanche, nous avions choisi de vous exposer l'analyse d'un authentique professionnel spécialisé en droit du sport, l'avocat Franck Lagarde. Nous la mettons donc à jour des dernières évolutions.
Cette nouvelle Loi a donc inséré dans le code du sport l'article 311-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 311-1-1. – Le gardien de l’espace naturel dans
lequel s’exerce un sport de nature n’est pas responsable des dommages causés à
un pratiquant, sur le fondement du premier alinéa de l’article 1242 du code
civil, lorsque ceux-ci résultent de la réalisation d’un risque normal et
raisonnablement prévisible inhérent à la pratique sportive considérée. » (art. 215 de cette loi).
Pourquoi ce changement est-il bénéfique ?
Pour rappel, l’ancien article 1242 alinéa 1er du code civil énonçait que l’on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde. La jurisprudence a toujours considéré, sur le fondement de ce texte, que pesait sur le gardien d’une chose (mobilière ou immobilière), c’est-à-dire sur la personne qui dispose de l’usage, de la direction et du contrôle de celle-ci, une responsabilité de plein droit (sans faute).
Si, dans le sport, la théorie de l’acceptation des risques a pu atténuer par le passé la rigueur de ce régime de responsabilité civile extracontractuelle, telle n’était plus le cas depuis un arrêt de la Cour de cassation du 4 novembre 2010 qui a posé en principe que le gardien de la chose ne saurait, pour s’exonérer de sa responsabilité, opposer à la victime son acceptation des risques (Cass. 2e civ., 4 nov. 2010, n° 09-65.947).
Le législateur était certes déjà intervenu pour tempérer cette jurisprudence, mais le texte adopté en 2012, et transposé à l’article L. 321-3-1 du code du sport, avait une portée très limitée puisque l’exonération de responsabilité ne concernait que les dommages matériels causés par le pratiquant gardien de la chose à un autre pratiquant. Demeurait donc la question de l’indemnisation des dommages corporels survenant notamment (mais pas seulement) à l’occasion de la pratique d’un sport de nature et trouvant leur origine dans le site de pratique lui-même (une chute de pierres par exemple).
Si la Fédération française de la montagne et de l’escalade (FFME), était en première ligne sur ce sujet depuis sa lourde condamnation dans l’affaire de l’accident de Vingrau, cette évolution du droit dans les sports Outdoor était attendu par de nombreux gestionnaires tant pour la randonnée que le VTT ! Les propriétaires et gestionnaires de sites naturels pourront désormais, en cas de contentieux, se soustraire à leur responsabilité de plein droit en
opposant à la victime son acception des risques normaux et prévisibles inhérents à l’activité sportive en cause. Mais attention, c'est pas encore gagné !
En effet, le dispositif vise à responsabiliser les usagers qui auraient des pratiques "dangereuses" (à la limite, ceux-là le gestionnaire pouvait s'exonérer en démontrant la faute du pratiquant) ou qui exerceraient leur sport dans des espaces naturels non aménagés, tout en conservant le droit des victimes à obtenir réparation dans certaines situations. Mais il laisse le soin aux juges d'apprécier la "normalité" et de la "prévisibilité" du risque en fonction du comportement du pratiquant et de l’aménagement ou non du site .
Est-ce normal et prévisible de prendre une pierre sur la tête dans un secteur école d'une falaise lourdement aménagée pour la pratique de l'escalade ?
Est-ce normal de prendre un arbre ou une branche sur la tête sur le parking d'une forêt domaniale un jour où le vent est nul ?
Est-ce normal de tomber dans un trou au milieu d'un sentier balisé pour vététistes ou randonneurs ?
La position de la FSGT en octobre 2020
La réaction de la Commission fédérale des activités de Montagne et
d'Escalade (CFME) suite à l'adoption par l'assemblée national de l'amendement
1120 du projet de loi "Accélération et simplification de l'action
publique" le vendredi 2 octobre
2020, ne s'était pas fait attendre. Au-delà du soutien, la FSGT s'était dès lors interrogée sur ces notions de risque acceptable. "On peut penser que le terrain d’aventure (même si ce qualificatif
n’a pas de définition clairement acceptée par tous) autorise un risque « normal » plus élevé qu’un site
sportif. Et une interprétation stricte de ce qu’est un site sportif (pour
lequel il existe des "normes" FFME (...) de plus en plus précises et contraignantes) pourrait amener à considérer qu’une
chute de pierre dans un tel site est « anormale ».
Dans ce cas c’est la responsabilité de l’équipeur ou de l’association dont il
est membre qui serait engagée.
...
Les associations ont aussi
une nouvelle responsabilité
Les associations ont aussi
une nouvelle responsabilité, qu’elles soient composées de bénévoles ou de
professionnels, c’est de contribuer à définir ce qui est « normal » ou « anormal » afin d’éclairer les juges
sur la réalité de leurs pratiques. Le temps ou l’escalade était une activité
quasi invisible socialement est définitivement clos.
Elle s’est largement
développée, en particulier dans le cadre scolaire, et si elle a de multiples
formes, de la salle fermée au terrain d’aventure en passant par les blocs et
les sites sportifs, (eux-mêmes pouvant être constitués de voies d’une longueur
ou davantage), du loisir occasionnel à la compétition aux JO, elle est et sera
de moins en moins assimilée par le public à l’alpinisme et à son image souvent
dramatique pour le grand public.
Ce faisant, les risques qui subsistent à sa
pratique, qu’il ne peut être question de nier, doivent être objectivés pour
permettre une juste appréciation de ce qui est normal ou pas quand on en fait.
La jurisprudence qui se dégagera de l’application de cet amendement dépendra aussi
de la capacité du milieu des grimpeurs, et en premier lieu des associations qui
les fédèrent, d’en donner une perception la plus juste possible en direction
des non pratiquants. Cela rendrait notamment souhaitable l’existence d’un
organisme chargé de collecter et de traiter les statistiques concernant les
accidents en escalade sous ses diverses formes.
Si la route s’est un peu
éclaircie pour nous permettre de continuer à grimper, il reste encore du
travail pour que le « normal » soit la règle et « l’anormal » l’exception.
Bref, l'histoire n'est pas fini, et il y un vrai risque pour les grimpeurs, de voir la FFME recommander le classement en Terrain d'aventure de bon nombre de falaises où les chutes de pierres restent régulières. Ainsi, comme c'est le cas en montagne, les chutes de pierres constitueraient un risque "normal" et "objectif". C'est le cas à Orpierre, pourtant archétype de la falaise école ultra sécurisée (voir illustrations et liens de cet article). A l'entrée de chaque chemin, un panneau vient rappeler le risque et la recommandation du port du casque. Souhaitons donc qu'enfin les pratiquants de sports nature se responsabilisent enfin en acceptant le fait que la nature est plutôt hostile à la pratique d'un loisir...
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