Si nous sommes parfois en conflits avec certaines décisions de l'ONF, nous avons un profond respect pour les forestiers de terrain qui se battent depuis des années tant pour l'avenir de nos forêts que pour le leur ! Voilà bientôt 10 ans que la TL²B existe et nous n'avons eut de cesse de dénoncer le manque de moyens humains et financiers de l'administration forestière car c'est bien ces déficits qui conduisent à des décisions mettant en péril l'avenir de nos forêts publiques. Réforme après réforme, rapport après rapport, de manifestations en suicides, la situation ne cesse de se dégrader tant pour le personnel forestier que pour nos forêts et autres espaces naturels protégés. Pour autant, le dernier rapport sur l’avenir de l’ONF qui vient enfin d’être publié est loin de rassurer !
Le 27 juin 2019, le gouvernement avait communiqué pour affirmer son attachement à l’Office et sa volonté de conserver « l’unité de gestion des forêts publiques, domaniales et communales, par un opérateur unique ». Il avait aussi rappelé « le haut standard environnemental de la gestion forestière par l’ONF ». Un communiqué visant à éteindre "l'incendie" qui ravage l’administration forestière depuis des années et qui se rallume très régulièrement ! Ainsi le 7 juin dernier, des agents de l’établissement public appelaient à une nouvelle mobilisation dans la continuité des grèves et des blocages après une longue marche à travers la France cet automne. Selon l’intersyndicale de l'ONF, il y a urgence : « Jamais la privatisation de la gestion des forêts publiques ne s’est profilée de manière aussi évidente », alerte-t-elle dans un communiqué.
Certains acteurs souhaitent notamment que la gestion des forêts communales soit déléguée à des prestataires privés. Une situation qui avait déjà fait polémique auprès des élus communaux comme nous l'indiquions dans notre article du sur les forêts communales à vendre. Un autre projet de décret portant sur la simplification de la procédure des autorisations administratives de défrichement, en consultation publique, propose lui de se passer de l’avis de l’ONF en cas de défrichement de forêts publiques.
Un manque de moyens humains et financiers qui touche aussi les plus grandes forêts et les espaces naturels protégés. C'est ce que dénonçaient il y a peu les représentants des personnels des dix parcs nationaux dans une lettre adressée aux conseils d’administrations (CA) des différents parcs. Ils regrettaient par ailleurs que « la création du Parc national des Calanques, et demain celui des forêts de Champagne-Bourgogne, se font à moyens constants » (le budget alloué aux parcs nationaux reste le même malgré les deux nouveaux parcs nouvellement créés) et dénoncent « les réorganisations successives des services » qui « n’ont d’effets que de saper les valeurs et le moral des agents, mais aussi d’amener une certaine souffrance dans l’exercice de nos métiers ». Quarante postes équivalent temps plein pourraient être supprimés, indiquait le syndicat SNE-FSU au Magazine Reporterre. Bref, aux difficultés financières et sociales préoccupantes, que nous avions déjà détaillé dans cet article (2014) qui évoquait l'avenir des forestiers et mais aussi celui-ci qui date déjà de 2011 sur le malaise et les suicides dans la profession) s’était ajouté 6 mois d’absence de gouvernance à la tête de l'ONF. Une gouvernance aujourd'hui remise en cause.
Que dit réellement ce nouveau rapport ?
Comme c'est les vacances pour beaucoup d'entre-vous, on vous a apporté un pavé à lire à la plage. En effet, ce rapport fait plus de 400 pages et enfonce bien des portes ouvertes. Après lecture du rapport, le constat du SNUPFEN (le syndicat majoritaire des travailleurs de l’Office national des forêts) est très mitigé ! « De toute manière, ce diagnostic est évident, note Philippe Canal. L’ONF souffre d’un déficit de financement et les engagements de l’État ne sont pas tenus. Les objectifs de récoltes sont irréalistes et les recette de bois sont en baisse constante. Nous sommes tous d’accord là-dessus ». C’est donc sur les recommandations de la mission que le débat sur l'avenir de l'ONF va à nouveau s’enflammer ! Pour le Snupfen, « la mission préconise les mêmes recettes éculées qui n’ont pas fonctionné : la réduction des effectifs, des missions, de la qualité de gestion… avec l’abandon proposé de 500 000 ha de forêts et milieux naturels communaux pas assez productifs ! L’accélération de la privatisation : arrêt définitif des recrutements de fonctionnaires, filialisation d’activités réalisées par 40% du personnel, exclusion de la « société civile » du futur Conseil d’Administration, adoption d’une logique d’entreprise privée qui agît dans son intérêt propre… et tant pis pour l’intérêt général » (communiqué du SNUPFEN) .
Ce nouvel épisode estival s’inscrit dans une crise financière importante pour l’Office qui est fortement endetté (360 millions d’euros) et que les réformes successives et autres rapports n'arrivent pas à réduire.
En fait, cette fois c'est bien le modèle économique de l'établissement publique qui est remis en cause sans un contexte de baisse des cours du bois à la vente et de crise climatique. Pour équilibrer ses comptes, l’établissement public a été obligé de supprimer des postes. Sur les 15.000 emplois que comptait l’ONF en 1985, il n’en reste plus que 9.000. Pire, alors que le contrat État-ONF pour 2016-2020 promettait d’arrêter cette spirale infernale, la réduction des postes se poursuit. Une réduction à laquelle s'ajoute le changement de statut des forestiers puisque la proportion de fonctionnaires ne représente plus que 56 % du personnel mais qui n'a pas permis la réduction le la masse salariale tant attendue.
L’ancien directeur général, Christian Dubreuil (parti à la retraite en janvier 2019) a déclaré, dans le cadre d’un rapport de l’IGAPS (Inspection générale de l’appui aux personnes et aux structures (p. 19) qu’« à l’ONF seuls deux postes justifiaient du statut de fonctionnaire : l’agent comptable et le directeur général ». « Une aberration », selon Philippe Berger du Snupfen : « Qui peut mieux qu’un fonctionnaire servir l’intérêt général et éviter la pression des marchands de bois ou des promoteurs ? D’ailleurs, les salariés de droit privé ne sont pas assermentés. Ils ne peuvent pas exercer des missions de police ou de contrôle qui font partie intégrante du métier de garde forestier. » Une mission que le rapport envisage d'ailleurs sérieusement de réformer. Et dire que l'an dernier on nous disait que allait s'améliorer côté finances à l'ONF. On en rigolerait presque si la situation n'était pas si grave pour son personnels et nos forêts.
La mission ayant rédigé le rapport souligne sans concession les errances des dirigeants de l'ONF :
"D’une manière générale, la mission s’est étonnée que beaucoup de décisions stratégiques, prises tant par l’établissement que par ses tutelles, ne soient pas adossées à des études d’impacts et ne s’appuient pas sur des outils de pilotage et d’aide à la décision pourtant indispensables à une bonne gestion.
Le manque de transparence de l’Office quant à ses coûts de gestion et quant à l’articulation entre ses activités liées au régime forestier et ses activités de nature concurrentielle a
considérablement tendu ses relations avec les collectivités territoriales propriétaires, dont certaines contestent désormais la légitimité d’imposer un gestionnaire unique pour les forêts
publiques." Elle souligne la nécessité de poursuivre les réformes à commencer par celle du Conseil d'Administration de l'établissement et sa gouvernance ! "La consolidation du modèle économique de l’ONF repose sur une révision de son mandat et de son cadre de gouvernance et sur une réorganisation interne. La mission
recommande a minima de clarifier le mandat de l’établissement, y compris en revenant sur certaines dispositions du code forestier, qui prévoient l’intervention de l’État dans la gestion courante de l’établissement. Ces mesures permettraient à l’Office d’engager de façon sérieuse et sur plusieurs années une démarche de réorganisation, portant sur ses fonctions support, ses ressources humaines, ses outils de gestion forestière, sa politique commerciale et ses activités concurrentielles. Les pistes identifiées dans le rapport doivent permettre de couvrir le besoin de financement de l’Office et de commencer à résorber sa dette. Le Conseil d’Administration devrait être réduit (12 membres au lieu de 30), présidé par un PDG, et aucun administrateur ne devrait se trouver en conflit d’intérêt avec l’Office.
Le rapport détaille 3 scénarios présentés ci-dessous et sur lesquels l'Etat devrait se prononcer à la rentrée... A suivre donc !
"Le premier scénario consisterait à maintenir le modèle actuel de gestion pour compte propre de la forêt domaniale et de gestion pour compte de tiers de la forêt communale en l’améliorant sur des points clés. [...] le deuxième scénario consisterait à mettre en place un mandat de gestion des forêts domaniales sur le modèle de la gestion d’actifs pour compte de tiers. A l’instar du modèle économique des forêts communales, l’État pourrait assumer son rôle de propriétaire et confier un mandat de gestion des forêts domaniales à l’ONF. [...] le troisième scénario consisterait en la mise en place d’une agence nationale des forêts publiques pour la gestion du bien commun forestier. Ce scénario identifie la forêt publique comme un bien commun dont les usages par les différents acteurs locaux (forestiers, promeneurs, sportifs, chasseurs…) pourraient être régulés par une gouvernance participative et décentralisée. Les différents propriétaires publics, État et collectivités territoriales, seraient mis au même niveau de responsabilité dans les instances de gouvernance. L’intensité des actions de conservation, de gestion et de valorisation serait alors décidée en fonction de leurs coûts et des ressources et enjeux à l’échelle des massifs forestiers."
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