Il y a quelques semaines déjà, la presse se réjouissait de la nouvelle étape franchie par le dossier de candidature de la forêt de Fontainebleau à l'inscription au patrimoine de l'UNSECO. Mais est-ce vraiment une nouvelle réjouissante ? Cette forêt aux portes de la capitale, c'est déjà le site naturel le plus visité de France avec sans doute plus de 10 millions de visiteurs annuels ! On l'a constaté avec le premier déconfinement, la forêt peut attirer les foules et beaucoup de ces visiteurs n'ont absolument pas conscience de l'impact de leur visite sur la nature... Alors ce classement n'est-il pas l'arbre qui cache la forêt ? Est-ce un simple piège à touristes ou un gage de sauvegarde de l'une des plus belles forêts de France ?
Avec le réchauffement climatique, la flore qui couvre des sols est de plus en plus fragile |
« C'est une première étape importante. On rejoint la short list des biens nationaux dont le dossier est suffisamment étayé pour que l'Etat s'engage à le défendre devant les instances internationales de l'Unesco », s'est réjouit Frédéric Valletoux, le maire de Fontainebleau qui planche sur le dossier depuis 2016 avec l'ONF et l'Établissement public du château. Un projet qui a été longuement construit et par un conseil dit "scientifique" d'une trentaine d'experts pour démontrer sa cohérence sur le plan historique, culturel, paysager… Cette candidature a reçu un soutien de poids avec une marraine de choc, qui n'est autre que Brigitte Macron ! Une note plus politique que le parrainage économique du millionnaire américain Christopher Forbes. Si, le ministère de la Culture vient de valider la candidature du « Domaine de Fontainebleau », où le massif forestier rejoindrait le château déjà classé (1981), le classement n'aurait pas lieu avant 2024.
En attendant, les sites classés par l'UNESCO sont hélas très souvent victimes de leur succès ! Leur attractivité augmentant fortement avec ce précieux sésame, les touristes venus de pays de plus en plus lointains s'y pressent en masse et d'importantes dégradations les accompagnent ! C'est d'ailleurs aussi le cas des sites mis à la mode sur les réseaux sociaux comme nous l'avions longuement signalé dans ce dossier. La situation est telle que l'UNESCO elle-même a tiré la sonnette d'alarme en 2018.
En effet, le nombre de touristes a augmenté de façon exponentielle au cours des 20 dernières années, et certains endroits sont si populaires que leur intégrité est menacée. Pour certains sites, la question qui se pose désormais est doit-on fermer ces merveilles aux touristes pour les sauver ? Pour ceux qui en douteraient encore, voici quelques exemples concrets d'endroits labélisés UNESCO mais particulièrement menacés par leur fréquentation.
Citons Venise et ces images des quelques 500 immenses paquebots qui menacent l'existence de la Cité des Doges. Venise est autant submergée par les touristes que par l’eau. Selon une étude réalisée en 1988, le nombre maximum acceptable de touristes par jour pour Venise était de 33.000, or aujourd’hui on est à 59.000 touristes par jour en moyenne, a indiqué l’architecte Cristiano Gasparetto, membre de l’ONG Italia Nostra. Moins visibles, mais tout aussi grave, les Galapagos inscrites dès 1978 sur la liste du Patrimoine mondial de l’Humanité par l’Unesco sont aujourd'hui en péril. Pourtant les visiteurs qui piétinent cet écosystème fragile ont un accès restreint à 200 000 personnes par an et la zone militaire équatorienne est très surveillée par la marine par souci de protection de l’environnement.
Les incendies sont une des conséquences du tourisme de masse. Forêt de Fontainebleau, été 2020 |
Les alpinistes le savent certainement mais le Kilimandjaro, le « toit de l’Afrique » et ses trois montagnes sont prises d'assaut par environ 25 000 personnes qui contribuent à l’érosion et à la pollution de la montagne tanzanienne, classée elle aussi au Patrimoine mondial. Et bien entendu, l’Everest n'est plus réservé à une élite. Son camp de base est sans aucun doute «le dépotoir le plus haut du monde». Sans l’escalader, près de 700 000 visiteurs se bousculent chaque année à son pied, ravinant ses sentiers escarpés. C'est aussi le cas de la Cité Inca du Machu Picchu. Alors qu’en 1992, moins de 10 000 visiteurs s’y rendaient chaque année, ils sont aujourd’hui 10 fois plus nombreux. De nombreux touristes s’écartent des chemins balisés pour avoir une vue unique si bien que ces milliers de pieds qui foulent le sol de la citadelle inca contribuent à en fragiliser la structure, et les équipes d’entretien peinent à réparer les dommages. Dès 2008, l’Unesco a lancé un avertissement au sujet du sanctuaire, soulignant les problèmes de déforestation, de glissements de terrain et d’accès illégal découlant du tourisme de masse. Au point qu'aujourd'hui, une limitation d'accès semble inévitable. Plus proche de nous, citons le cas du Mont Blanc et des limitations qui s'imposent depuis quelques années.
Hélas, ces limitations d'accès, pour ne pas mettre en péril l'industrie du tourisme qui s'est construite autour de ces sites ne peut que s'accompagner d'une très forte augmentation des prix. Voilà comment le patrimoine mondiale et culturel ne sera bientôt plus accessible aux masses mais réservé à une élite économique ! Ainsi, par exemple, l’accès
à l'île de Pâques, qui appartient au Chili, est désormais organisée
avec un Pass que gèrent les
autorités locales avec les agences de voyage, pour réduire le nombre et la
durée des séjours sur place. Les Moais de l’île
sont désormais réservés aux happy few. Ce tourisme réservé aux riches serait même en passe de faire l'objet de contrebande !
Nous ne sommes pas les seuls à faire ce constat. Nos confrères de Tourmag ont eux aussi plusieurs fois dénoncé dans leurs colonnes les conséquences négatives sur le plan écologique et social de l’attribution par l’UNESCO du label « Patrimoine de l’humanité » à plus d’un millier de sites naturels et culturels à travers le monde.
Cette labellisation médiatisée provoque inévitablement l’arrivée des milliers de visiteurs dans des régions mal préparées à ce tourisme de masse et ses conséquences. En 2018, la prise de conscience par l'UNESCO du problème devait déboucher sur un outil de gestion du tourisme.
Cette avancée annonce très certainement des mesures coercitives qui encadreront le tourisme car il n'est plus possible de « lâcher » sans réglementation plus d’un milliard de touristes dans des régions souvent fragiles. Cette démarche préfigure aussi un changement de cap inéluctable du tourisme dans les prochaines décennies, et il est important pour les professionnels et élus d’anticiper ce mouvement en adhérant aux réflexions et à la mise en place d’un tourisme durable et lent !
Fontainebleau une forêt périurbaine légendaires |
Vous voyez certainement où nous voulons en venir.
Classer la forêt domaniale de Fontainebleau déjà très menacée par sa fréquentation actuelle sans lui donner les moyens de se protéger n'est pas une solution souhaitable. De plus, un tel classement n'entraîne aucune obligation ! Pire, l'UNESCO n'aide pas financièrement les défenseurs de la nature. A Fontainebleau, comme dans le reste de la France, l'ONF est à l'agonie. Les moyens humains et financiers accordés à la sauvegarde du site sont dérisoires. Pire, le gros du budget est maintenant englouti pour réparer les conséquences d'une mal fréquentation et d'une sur-fréquentation de Bleau pour nettoyer les décharges sauvages ou sécuriser certains secteurs à cause d'une érosion galopante. C'est donc pour les mêmes raisons que nous avions contesté l'utilité d'un classement en Parc National que nous rejetons cette proposition.
Actuellement, 11 statuts environnementaux parmi les plus protecteurs ont été pris pour protéger notre forêt. Appliquons-les ! Ce sera déjà pas mal...
Autrement-dit, la manne économique que représente pour le Pays de Fontainebleau ce futur classement n'en vaut peut-être pas la chandelle pour la forêt. Mais les sirènes économiques chantent souvent plus forts que les défenseurs de la nature... On le voit bien avec la chasse et la chasse à courre.
Nous avons reçu sur Facebook le commentaire ci-après d'une ancienne responsable locale de l'ONF et nous l'en remercions car il nous conforte dans notre idée...
RépondreSupprimerL'hyper-fréquentation a commencé à être abordé en France, et aboutit à une augmentation du pouvoir des maires pour aménager (parkings dédiés) et policer, mais le débat de fond n’avance pas. Le Mont Blanc est une “jurisprudence” à observer, avec une approche “réglementaire” dont on peut se douter que sans moyens...ne pourra être suivie d’effets.
Il faut croire que le classement UNESCO facilite l’accès à un dégrèvement fiscal pour la rénovation de bâtiments anciens....et auquel cas finaliser la zone tampon du classement de 1981 pourrait suffire, mais certains politiques préfèrent peut-être le millefeuille ou la médaille de plus avec un nouveau label. “ la foret qui lave plus blanc que blanc”.
Si il y a des moyens humains et financiers dédiés à ce dossier , ils sont à mon sens, m - dans la pénurie apparente de moyens et de stratégies- pour cette forêt- trop important. Tout moyen supplémentaire aurait une plus grande efficacité en renforçant aujourd’hui les capacités d’entretien environnemental , touristique et paysager de qualité!!!!
Considérant les faibles chances de classement et l’absence d’impact positif sur l’environnement d’un tel classement, ion peut penser que les enjeux sont avant tout ceux de la communication politique...ce qui n’est pas suffisant pour notre belle forêt.
Il faut par exemple rappeler qu’il serait plus urgent de se battre pied à pied pour un suivi renforcé des objectifs natura 2000 de la forêt, avec des moyens humains....qu’il faut soutenir et renforcer le tissus associatif assistant à un entretien intelligent de cette forêt....La réserve de biosphère n’est elle pas délaissée financièrement bien que correspondant encore plus directement à l’enjeu ? ...l’ONF met il encore les moyens humains (sachant, personne de terrain...) autour de cette forêt ?
Et on voudrait nous faire croire que tout ceci est une démarche de préservation de l’environnement, c’est peut-être un peu superficiel, non?
Il faut aussi tout simplement se demander si une partie de la forêt, celle de la zone tampon du classement de 1981- ne pouvait déjà pas être labellisée au titre de la zone “tampon” patrimoine historique.
La demande d’extension a été faite au titre de “patrimoine historique” et non pas “ patrimoine naturel “! pourquoi un tel choix au vu des enjeux?
Bref je crois que c’est un dossier sans fond technique, qui ne renforcera pas notre capacité d’entretien participatif de cet espace que nous adorons et partageons. Je crois personnellement que c’est un porte drapeau, un point de focal qui nous détourne de l’objectif...
Je gére un gite et j’ai un intérêt dans le tourisme mais il y a bien assez à faire aujourd’hui, surtout aujourd’hui, pour renforcer l’existant, ici et maintenant.
Totalement d'accord avec votre article. Le classement UNESCO risque bien d'être le coup de grâce donné à notre forêt déjà bien malmenée.
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