[JURIDIQUE] Les forêts privées resteront elles interdites aux promeneurs ou a t'on tous un libre accès à la nature ?

C'est passé assez inaperçu en Ile-de-France et pourtant, depuis février 2023, vous ne pouvez plus vous promener librement dans les forêts privées même non clôturées !  Non, ce n’est pas une mauvaise blague. Au titre de la loi  "...pénétrer sans autorisation dans la propriété privée rurale ou forestière d'autrui, sauf les cas où la Loi le permet, constitue une contravention de la 4e classe" soit une contravention de 135€ pouvant être portée à 750 € ! Ce sont donc les trois-quarts de la forêt française qui sont désormais interdits aux promeneurs, sportifs et autres aux bénévoles des associations de protection de la nature. Si l'intention de départ de cette loi était louable  (lutter contre les grillages qui nuisent à la circulation de la faune sauvage) la contre partie est lourde de conséquences. Elle n'a pas manqué de déchaîner les passions dans certains secteurs où cette interdiction a été signifiée aux promeneurs indésirables au point que deux députés EELV ont déposé début novembre un nouveau projet de Loi visant à supprimer cette pénalisation de l'accès à la nature. Depuis, défenseurs des libertés individuels et écologistes s'opposent aux chasseurs, agriculteurs et autres propriétaires terriens dans un concert d'arguments qui font preuves de beaucoup de mauvaise foi. Faisons le point...


A la TL²B nous avons toujours été du côté de la défense des libertés de pratique des loisirs et sports de nature dans la mesure où celles-ci ne conduisent pas à la dégradation du bien d'autrui, de la faune ou de la flore, et dans la mesure où le partage de l'espace se fait dans un juste équilibre. Bref, nous nous opposons à toutes les formes de mises sous cloches dès lors que la pratique des uns ne nuit pas à celle des autres et du gestionnaire du site. C'est un sujet qui revient très régulièrement dans nos colonnes soit parce que deux pratiques s'opposent - comme le VTT sur les sentiers de randonnée - ou que deux logiques ne semblent pas être conciliables aux yeux d'une des parties - protection de l'avifaune contre les grimpeurs ou comportements irrespectueux des sportifs vis à vis des propriétaires et de la nature pour ce citer que ces deux exemples - Nous avons à ce titre publier de très nombreux articles (dont certains sont aujourd'hui obsolètes) et consacrons de nombreuses pages à ces dossiers comme celle-ci sur les notions juridiques d'accès aux sites naturels mais aussi celle-là, sur l'impact de nos pratiques sur le milieu

Revenons un peu en arrière. La multiplication des clôtures dans les espaces naturels pour y confiner les animaux (chasses privées), ou au contraire pour limiter leurs incursions pour protéger les cultures (y compris sylvicoles) constitue souvent une entrave à la circulation des sportifs de pleine nature. Le vaste Pays de Fontainebleau n'échappe pas à la règle et nous avons mainte fois dénoncé l'engrillagement progressif de la forêt domaniale en plus des chasses privées limitrophes (voir cet article de 2015, ou celui-ci vous invitant à relever les clôtures en 2022). Nous ne pouvions donc que nous réjouir qu'une loi visant à réduire l'impacte de ces clôtures en les rabaissant. Concrètement, le texte voté impose que les clôtures soient posées 30 centimètres au-dessus de la surface du sol. Leur hauteur doit être limitée à 1,20 mètre, et « elles ne peuvent être ni vulnérantes ni constituer des pièges pour la faune ». Les clôtures existantes auront jusqu’en 2027 pour se mettre en conformité. Oui mais voilà,  en contrepartie, et pour rassurer les propriétaires fonciers, les élus ont cru nécessaire de pénaliser l'accès aux propriétés privées.

« Art. 226-4-3.-Sans préjudice de l'application de l'article 226-4, dans le cas où le caractère privé du lieu est matérialisé physiquement, pénétrer sans autorisation dans la propriété privée rurale ou forestière d'autrui, sauf les cas où la loi le permet, constitue une contravention de la 4e classe. »



Deux importants conflits d'usage depuis la nouvelle loi

Les effets de la loi n’ont pas tardé à se faire sentir et ont ravivé les vieux conflits d’usage. Dans le massif de la Chartreuse, un marquis s’est offusqué cet été du passage de « hordes déferlantes de curieux irrespectueux sans foi ni loi » et a interdit l’entrée de ses 750 hectares de forêt en plein cœur d'une réserve naturelle traversée par quelques sentiers de randonnée. Du fait de cette nouvelle loi, les randonneurs qui osaient franchir sa propriété prenaient le risque d’une verbalisation.

L’affaire a suscité une levée de bouclier et la pétition des défenseurs d'un accès libre à la forêt a recueilli rapidement plus de 35 000 signatures. Une manifestation a aussi rassemblé près d'un millier de personnes qui dénonçaient l’hypocrisie du propriétaire plutôt soucieux de la tranquillité de ses riches clients qui s'offrent ici de grosses parties de chasse. Plus au sud, sur la montagne de Lure, dans les Alpes de Haute Provence, plusieurs militants écolos ont également reçu une convocation pour s’être rendus sur une parcelle privée en cours de déboisement. Ils s’opposaient depuis plusieurs mois à la destruction de 17 hectares de forêt au profit d’une gigantesque centrale photovoltaïque. Pour avoir été sur ce domaine privé, les militants ont donc reçu des amendes au titre de cette nouvelle loi. Il y avait pourtant largement matière à contester ces limitations de circulation pédestre sur des terrains privées

En effet, jusque ici, la jurisprudence tant civile, de la Cour de cassation, que celle, administrative, du Conseil d’Etat, et de façon constante, depuis un arrêt de la Cour de cassation du 7 juillet 1854, considère que les terrains non clôturés ou, dont l’interdiction d’accès n’est pas clairement portée à la connaissance du public, sont présumés ouverts au public, sous la réserve de ne pas y causer de dommage.

Une décision de la Cour de cassation du 30 novembre 1994 était, d’ailleurs, venue préciser que le seul panneau indiquant « propriété privée » ne signifiait pas l’interdiction claire et sans équivoque de pénétrer à l’intérieur de la propriété. Pour la jurisprudence, constituent une interdiction claire et sans équivoque la présence du propriétaire sur les lieux, qui interdit verbalement l’accès à son terrain, l’existence de panneaux d’interdiction d’accès ainsi que l’installation d’une clôture. 

A cela, il fallait ajouter certaines dispositions de la  loi « montagne » du 9 janvier 1985 qui a créé une servitude particulière. Concrètement, le préfet établit, sur proposition du conseil municipal ou de l'établissement public de coopération intercommunale concerné, une servitude sur une propriété privée pour équiper des sites nordiques, aménager et utiliser des pistes de ski alpin ou permettre le survol des remontées mécaniques, accéder aux sites d'alpinisme, d'escalade, aux sports de nature  et aux refuges de montagne, lorsque la situation géographique le nécessite. En 1985, il s'agissait essentiellement de permettre le développement d'activités touristiques hivernales , en suivant le principe « la neige efface le cadastre » L'article L. 342-20 du code du tourisme précise par ailleurs qu'une servitude peut être instituée en dehors des périodes d'enneigement pour assurer, dans le périmètre plus restreint d'un site nordique , le passage, l'aménagement et l'équipement de pistes de loisirs non motorisés.
Ces servitudes ont été étendues par l’article 25 de la loi n°2006-437 du 14 avril 2006 portant diverses dispositions relatives au tourisme qui a institué une servitude d’accès aux ESI (article L 342-20 du Code du Tourisme) avant d'être partiellement modifiées par une nouvelle loi en 2016.

Par application du principe selon lequel, les espaces naturels sont affectés aux sports de nature, la servitude prévue à l’article L 342-20 du Code du Tourisme permet notamment le passage, l'aménagement et l'équipement de pistes de loisirs non motorisés, dans le périmètre d'un site nordique, en dehors des périodes d'enneigement et l’accès aux sites d'alpinisme et d'escalade situés en zone de montagne (y compris refuges) ainsi que l'accès aux sites relatifs aux sports de nature. Cette servitude peut désormais être instituée non seulement à la demande d’une commune ou d’un groupement de communes, mais aussi à la demande d’un département ou d’un syndicat mixte (Par exemple un Parc naturel régional). Cette servitude ne peut être établie que « lorsque la situation géographique le nécessite ». Des raisons géo-morphologiques sont donc nécessaires à son établissement.

Lors de sa révision (voir ici), le texte a été intégré au Code du sport notamment l'article L.311-1 

Article L311-1


Les sports de nature s'exercent dans des espaces ou sur des sites et itinéraires qui peuvent comprendre des voies, des terrains et des souterrains du domaine public ou privé des collectivités publiques ou appartenant à des propriétaires privés, ainsi que des cours d'eau domaniaux ou non domaniaux.

II.- L'article L. 342-20 du même code est ainsi modifié : [...]
3° Le second alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés : [...]
« Lorsque la situation géographique le nécessite, une servitude peut être instituée pour assurer les accès aux sites d'alpinisme, d'escalade en zone de montagne et de sports de nature, au sens de l'article L. 311-1 du code du sport, ainsi que les accès aux refuges de montagne. »
[...]


Deux concepts antagonistes presque impossible à concilier !

Au-delà de la sacro-sainte opposition entre propriétaires privées et amoureux de la nature, peut-on encore trouver un juste milieu ? D'un côté il y a des agriculteurs dont les champs et élevages peuvent être gravement impactés par nos loisirs (cueillettes excessives, destructions de cultures, cueillettes excessives, érosion, dégradations, déchets...) et des organisateurs de chasses privées très lucratives mais pas toujours très respectueuses des règles (sécurité, hygiène, animaux...) et, de l'autre, il y a les pratiquants en mal de nature, les naturalistes scientifiques, les militants écologistes et autres lanceurs d'alerte pour qui le simple fait de traverser une parcelle privée est désormais interdit. Finalement, les seuls humains autorisés à circuler seront les chasseurs ! Et dans certaines régions, comme le Morvan, où la part de la forêt privée atteint les 85 %, il devient tout simplement impossible de circuler dans la nature sans se mettre dans l’illégalité.

On est donc dans une situation qui n'a pas été bien prise en compte par le législateur alors que l'on touche là, à deux principes opposés et fondamentaux ! D'une part la restriction des libertés de circuler en pleine nature, un droit individuel qui est pourtant garanti par la constitution de 1958 (Art. 66), d'autre part, celui de la propriété, tout aussi important.

Outre le problème de circulation des randonneurs, grimpeurs, vététistes et autres promeneurs, les écologistes comme l'association Canopée pointe « un risque de dérives » et de « détournement » de cette disposition de loi à l’encontre des activistes et naturalistes. La nouvelle infraction pourrait en effet, servir à réprimer massivement ceux qui se mobilisent pour la sauvegarde de la nature. Dans les débats parlementaires, au début de l’année, la secrétaire d’État à la biodiversité, Bérangère Couillard, avait d'ailleurs affirmé que « les intrusions volontaires caractérisées en forêt devaient être sanctionnées ». Et, en effet, la nouvelle infraction renforce l’arsenal à disposition des forces de police. 

Par ailleurs, comme le rappelait Manon Meunier, députée LFI de la Haute-Vienne «  s’il est aujourd’hui possible d’avoir accès à la répartition des espèces animales et végétales de notre pays, c’est parce que ces bénévoles et ces associations jouent depuis des dizaines d’années un rôle essentiel de recensement des espèces sauvages. Ce sont ces naturalistes passionnés qui vont sur le terrain, savent déterminer la présence d’un oiseau au chant, reconnaître un mammifère à son empreinte, identifier la ponte d’une libellule dans une écorce d’arbre… Ce sont eux qui sont à l’origine des atlas régionaux de répartition des espèces. Ce sont eux qui observent le déclin de notre biodiversité, qui alertent sur les dommages causés à l’environnement  ».

Mercredi 8 novembre, Lisa Belluco et Jérémie Iordanoff, deux députés écologistes,  ont déposé donc une proposition de loi visant à supprimer l’infraction. Il plaide avec sa collègue pour un rééquilibrage entre le respect de la propriété privée et la liberté de circuler. Sur le fond, les députés veulent aussi engager une réflexion plus large sur un futur droit d’accès à la nature. « La pratique de loisirs et de sport de plein air et l’accès à la nature pour toutes et tous sont nécessaires pour notre santé physique et mentale, rappelle Lisa Belluco. Par ailleurs, cet accès à la nature est une condition pour comprendre le monde vivant qui nous entoure et mieux le protéger. »

Après le dépôt de cette première proposition de loi, les écologistes espèrent arriver à créer d’ici 2024 un grand débat transpartisan autour de cette question en s’inspirant des législations scandinaves. Et là, les oppositions sont déjà bien présentes ! Jen vous laisse apprécier  la bienveillance et la pertinence des arguments avancés par exemple dans les réactions des opposants au projet celle-ci (côté chasseurs) ou celle-là (côté agriculteurs) ! Pour autant, à voir les saccages réalisés ici et là dans les champs, on peut comprendre la colère de certains agriculteurs. Mais ce n'est généralement pas le fait des pratiquants de loisirs enfin, dans la limite où ces deniers respectent les règles du jeux (pas de feu, pas de déchet, pas de bruit, etc.)

En attendant, pour ne prendre que le cas des sites d'escalade situés tout autour de la forêt domaniale de Fontainebleau et des Trois Pignons, l'accès a nombre d'entre eux nous expose à la sanction et ce, bien qu'il n'y ait souvent aucune clôture ! En effet, on ne compte plus les sites situés en propriété privée en Essonne, Yvelines et Seine et Marne dont seul quelques arbres portent un écriteau "Réserve de chasse" ou "Chasse gardée" et parfois assorti du sens interdit "propriété privée". En Bourgogne, en Bretagne et dans bon nombre de région, il va devenir très compliqué de se mouvoir. 



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1 commentaire :

  1. Je ne comprends pas cette justice à 2 vitesses.
    Dans ma famille, dans les années 70, quelqu'un s'est vu interdire de fermer un passage sur son terrain suite à une jurisprudence qui interdit à un propriétaire de fermer un passage dès lors que le passage est utilisé depuis au moins 35 ans.
    C'est consternant.

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