Les Eoliennes confirmées comme ICPE par le Conseil d'Etat

Plusieurs articles ont attiré notre attention sur la validité des permis de construction des éoliennes. Parmi eux, celui de notre ami Thiebault, avocat spécialisé en environnement, dont le blog Avec vue sur la Terre nous apporte des éclairages plein d'humour et instructifs sur les décisions de justice est reproduit ici pour nous permettre de comprendre ce qui vient de se faire à propos du développement de l'éolien industriel en France...
Où il est (définitivement) dit que les éoliennes sont des équipements publics

Mettant fin à un suspens qui n’en était pas vraiment un, le Conseil d’Etat a qualifié les éoliennes d’équipements publics du fait de « contribution à la satisfaction d'un besoin collectif par la production d'électricité vendue au public » par ses arrêts du 13 juillet 2012.
L’enjeu de cette question était de taille : la légalité des permis de construire des éoliennes au regard des POS et PLU des communes. Une réponse négative aurait compromis la quasi-totalité des projets éoliens.
En effet, et même si les terminologies varient, les règlements des zones agricoles et des zones protégées interdisent généralement les constructions à l’exception notable des équipements d’intérêt public. On retrouve la même exception dans le cadre de la loi Montagne où ces équipements peuvent être construits sans respecter la règle de l’urbanisation en continuité avec les bourgs existants destinée à limiter le mitage (art. L. 145-3 III C. urb.) et à l’article R. 111-14 du Code de l’urbanisme visant à éviter une urbanisation dispersée incompatible avec la vocation des espaces naturels environnants mais applicable seulement sur le territoire des communes non dotées d’un POS ou d’un PLU. L’article L. 111-1-2 du code de l'urbanisme pose le principe d'une constructibilité limitée dans les communes non dotées de plan local d'urbanisme ou de carte communale, et prévoit que par dérogation « les constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs »
Les promoteurs éoliens (privés) menaient donc une lutte acharnée pour décrocher cette qualification d’équipement public pour leur projet et ainsi bénéficier de la dérogation. Ils ont mené une habile stratégie contentieuse destinée à obtenir du juge le cadre propice à la conduite de leur activité par la sécurisation juridique des projets de parcs éoliens.

On ne peut cependant s’empêcher de noter que la production d’électricité autorise beaucoup de contorsions juridiques. Quiconque a fait un passage par une fac de droit pourra se souvenir de l’emblématique décision du Conseil d’Etat du 19 janvier 1973 Société d’exploitation électrique de la rivière du Sant qualifiant d’administratifs les contrats d'achat d'électricité conclus entre EDF et les producteurs autonomes compte tenu de l’exorbitance de leur régime… et ce jusqu’à une décision du 1er juillet 2010 Bioenerg qui en a refait des contrats de droit privé puisqu’EDF était devenue une société anonyme.Car enfin, la qualification d’équipement public pour un projet privé ne coule pas de source et il est difficile de ne pas voir dans cette position un postulat destiné à soutenir la filière si on est cynique ou le développement des énergies renouvelables si on est optimiste.

Concernant la loi Montagne, la lettre du paragraphe III de l'article L. 145-3 a évolué : une modification issue de la loi Barnier avait introduit la dérogation au bénéfice des installations ou équipements « d'intérêt public » (loi n° 95-115 du 4 févr. 1995, art. 5), avant que la loi urbanisme et habitat, réécrivant en grande partie ce paragraphe, n'introduise la version actuelle, visant les installations ou équipements « publics » (loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003, art. 33). Cela indique que l’équipement en cause doit normalement être celui d’une personne publique.
La rédaction du Conseil d’Etat est habile en ce sens qu’elle retient la qualification d'équipement public non pas pour l’ouvrage en soi mais en raison de l’alimentation du réseau en électricité pour la satisfaction du public. Raisonnement tout de même un peu circulaire dans la mesure où l'électricité produite est certes  injectée sur le réseau mais en conséquence d'une obligation d'achat à un tarif préférentiel dont bénéficient les producteurs (Loi n° 2000-108 du 10 févr. 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, art. 10, modifié par la loi n° 2005-781 du 13 juill. 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique ; Décret n° 2001-410 du 10 mai 2001 relatif aux conditions d'achat de l'électricité produite par des producteurs bénéficiant de l'obligation d'achat).
Ajoutons à cela le fait que les exploitants privés contribuent, par leur production énergétique, à atteindre les objectifs nationaux et à la lutte contre le changement climatique issus du Grenelle 1 et des objectifs communautaires (dir. n° 2009/28/CE du 23 avr. 2009, art. 3), qualifié de premier rang des priorités pour la France (art. 2 de la loi Grenelle 1, art. L. 229-1 C. envir.) et le bénéfice de cette qualification n'était plus qu'une question de temps.
Si le Conseil d'Etat n’avait pas qualifié toutes les éoliennes d'équipement public dans son arrêt Leloustre du 16 juin 2010 et avait pris le soin de préciser que c'est le cas « dans les circonstances de l’espèce eu égard à l'importance du parc éolien et à sa destination », il semble bien que l’été 2012 aura brisé les espoirs des opposants… au moins sous cet angle.

Voici quelques extraits d'un autre article publié par actu-environnement sur le même thème.

Eoliennes : le Conseil d'Etat valide au forceps le décret de classement au titre des ICPE

Les éoliennes ont été intégrées à la nomenclature des installations classées par un décret d'août 2011. Le Conseil d'Etat vient de rejeter, par une décision controversée, le recours de deux sociétés qui contestaient ce classement.
Par une décision du 13 juillet, la Haute juridiction administrative a rejeté les requêtes des sociétés Volkswind France et Innovent qui demandaient l'annulation du décret du 23 août 2011 intégrant les éoliennes terrestres à la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Cette décision fait suite au refus du Conseil d'Etat de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par les mêmes requérantes et portant sur la conformité à la Constitution de la disposition de la loi Grenelle 2 prévoyant ce classement.

Le règlement plus sévère que la loi
Les requérantes avaient fait valoir le fait que le pouvoir réglementaire était allé au-delà de ce qu'avait prévu la loi, en soumettant à autorisation d'autres installations que celles expressément prévues par l'article L. 553-1 du code de l'environnement. Le Conseil d'Etat rejette le moyen, estimant qu'"il ne résulte ni de ces dispositions, ni des travaux parlementaires ayant précédé l'adoption de la loi du 12 juillet 2010 que le législateur ait entendu priver le Premier ministre de l'exercice du pouvoir de police spéciale qu'il détient en vertu de l'article L. 511-2 du code de l'environnement pour soumettre à autorisation, enregistrement ou déclaration les autres installations présentant des dangers ou des inconvénients (…)".
"Mais alors, on se demande bien pourquoi le législateur a pris la peine de définir de manière précise, aussi bien au regard de la hauteur des mâts que du nombre d'aérogénérateurs, les conditions de la soumission à autorisation", feint de s'interroger David Deharbe, avocat spécialisé en droit de l'environnement, qui conteste l'analyse du Conseil d'Etat.
"Rappelons tout de même cette aberration : implantée plein champ, une unique éolienne de 50 mètres au mat éloignée de toute habitation à 500 mètres à la ronde se voit soumise à étude de dangers…", s'indigne l'avocat.

Des risques et inconvénients de la nature de ceux des installations classées
Le Conseil d'Etat considère que "l'auteur du décret n'a pas commis d'erreur manifeste, dans l'appréciation à laquelle il s'est livré des dangers ou inconvénients pouvant découler du fonctionnement de ces installations" pour les intérêts protégés par la législation des installations classées. S'appuyant sur un rapport de l'Ineris de décembre 2011, il estime que l'implantation et l'exploitation des éoliennes présentent des risques et inconvénients, de la nature de ceux pris en compte par cette législation, "pour la sécurité et la santé publique, la faune ainsi que pour la préservation de l'environnement et sont susceptibles de porter atteinte aux paysages".
"L'arrêt aurait pu également souligner que de nombreux autres rapports soulignaient l'inutilité du classement ICPE des éoliennes au regard des risques très réduits qu'elles présentent", rétorque l'avocat Arnaud Gossement.

[...]
Une décision controversée quant à la mise en œuvre du principe de participation du public
Les requérantes avaient fait valoir que le projet de décret n'aurait pas fait l'objet d'une publication comme le prévoit l'article L. 511-2 du code de l'environnement. Le Conseil d'Etat rejette ce moyen, la publication ayant effectivement eu lieu. En revanche, se posait la question de l'incidence de la décision du Conseil constitutionnel du 14 octobre 2011 ayant déclaré inconstitutionnel le second aliéna de l'article L. 511-2 dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 11 juin 2009. La déclaration d'inconstitutionnalité ne prenant effet qu'au 1er janvier 2013, la disposition anticonstitutionnelle ne pouvant être appliquée dans les instances en cours, et les requêtes des sociétés ayant été déposées après cette décision, le Conseil d'Etat en déduit que cette déclaration d'inconstitutionnalité est "sans incidence dans la présente instance".

D'autre part, ce dernier estime que la légalité du décret devait être appréciée au regard du second alinéa de l'article L. 511-2 du code de l'environnement dans sa rédaction issue de la loi de simplification du droit du 17 mai 2011, qui n'impose pas la participation du public à son élaboration mais la publication par voie électronique des projets de décrets. Le moyen tiré de ce que l'élaboration du décret n'avait pas fait l'objet d'une participation du public devait donc être écarté.

Toutefois, cette décision prête à débat et pourrait ne pas être pérenne à cet égard. En effet, la déclaration d'inconstitutionnalité d'octobre dernier était fondée d'une part sur le fait que l'exigence de publication ne concernait pas les projets de décret de nomenclature pour les installations autorisées ou déclarées, insuffisance à laquelle il a été remédié par la loi Warsmann. Et, d'autre part, sur le fait que "ni cette disposition ni aucune autre disposition législative n'assurait la mise en œuvre du principe de participation du public à l'élaboration de ces textes". Or, cette mise en œuvre n'est à l'heure actuelle toujours pas prévue par le code de l'environnement et reste à organiser par le législateur. De plus, le Conseil constitutionnel vient de censurer à nouveau une disposition législative du code de l'environnement pour méconnaissance du principe de participation.
Ce qui fait dire à Carl Enckell, avocat spécialisé en droit de l'environnement que "le rejet du recours dirigé contre le classement ICPE des éoliennes ne vaut que pour les six prochains mois". Dès le 1er janvier 2013, "un requérant pourra demander à l'administration d'abroger le décret du 23 août 2011 soumettant les éoliennes au régime des ICPE puis, en cas de refus, saisir le Conseil d'Etat à nouveau", estime l'avocat.
Pour Arnaud Gossement, "l'arrêt démontre un problème aigu de méconnaissance du principe de participation du public". En tout état de cause, il s'agit d'une décision controversée tant sur l'application de ce principe constitutionnel que sur celle des libertés prises par le pouvoir réglementaire par rapport à la loi.
Le régime juridique applicable aux éoliennes n'a pas fini de faire parler de lui…

[...]
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