[BLEAU] Les grands cerfs du Pays de Fontainebleau peuvent ils à nouveau disparaître ?

Vous connaissez sans doute ce jeu où un apprenti chasseur crie "Où sont les Cerfs ?" La réponse actuelle serait aujourd'hui "pas dans la forêt" ! En tous cas, c'est ce que disent certains observateurs avertis parmi lesquels on retrouve de nombreux photographes animaliers. De tous les animaux, le cerf est sans aucun doute l'un des plus emblématiques des anciennes grandes  forêts royales françaises devenues domaniales. Alors, forcément quand quatre d’entre eux ont été abattus (dont un 14, un 17 et un 19 cors) le même jour à Fontainebleau, cela n'a pas manqué de faire réagir ! Donc, une nouvelle fois, ce sont quelques-uns des meilleurs photographes animaliers du coin qui ont tiré la sonnette d’alarme sur la disparition possible des grands cerfs et de la faune de manière plus générale. Inévitablement, comme à peu près tout ce qui touche à cette forêt, la passion cède le pas à la raison et les propos s'enflamment, provoquant la publication de nombreux articles aux titres parfois racoleurs et aux affirmations sans nuances prompte à provoquer les polémiques. Si l’on peut facilement comprendre l’émotion de nos amis photographes qui suivent année après année les  plus belles têtes, il est crucial de prendre un peu de recul avant de raconter n’importe quoi. 

A la TL²B, nous nous sommes déjà exprimés à de très nombreuses reprises sur le sujet et à lire les inepties proférées tant par certains chasseurs que par des défenseurs de la cause animale, il nous semble important de (re)préciser un peu les choses. Nous avons nos convictions et à lire les statistiques, elles n'en sont que renforcées. Nous avons donc tenté de faire le point sur cette question qui divise avec des éléments plus factuels que ce que nous avons pu lire ailleurs quitte à à remettre en cause un certains nombre de dogmes avancés par tant par les autorités que par certains naturalistes. L'article sera donc plus long qu'à l'accoutumé et nous nous en excusons par avance. Enfin, rappelons qu'il ne s'agit pas d'opposer pro et anti chasse mais bien de réfléchir à l'avenir de la population de cervidés dans le sud Seine-et-Marne sur la base des données quantitatives locales disponibles. Nous serons donc particulièrement attentifs à la modération des éventuels commentaires.

Pour une forêt vivante, c'est le nom de la nouvelle association de défense de la faune sauvage de Fontainebleau fondée par Yannick Dagneau
Pour une forêt vivante, c'est le nom de la nouvelle association de défense de la faune sauvage de Fontainebleau fondée par Yannick Dagneau



Pour commencer, même si l’on n’aime pas la chasse, il est évident que c’est une nécessité pour réguler la prolifération de certaines espèces comme les sangliers ou les chevreuils. Nous ne reviendrons pas non plus ici sur notre opposition indéfectible à la chasse à courre et à la chasse dite d’été (autorisant les tirs de cerfs pendant le brame) pour nous concentrer uniquement sur le cas des cervidés dans le Pays de Fontainebleau au sens large. Ainsi, souhaitons nous éviter les sempiternels arguments évidemment trop beaucoup trop simplistes et hors de propos serinés par certains chasseurs du type : « les plus grands défenseurs de la nature c’est nous », « grâce à nous la population de cervidés s'accroît en France », etc. 
Effectivement, vu de la Sologne ou de l’Isère, c’est peut-être vrai mais cela montre, au mieux, une totale méconnaissance des situations locales, au pire, une volonté d’enfumer ceux qui pensent autrement. Par ailleurs, il serait bon que certains chasseurs s'intéressent d’avantage aux méthodes des photographes animaliers. Affirmer comme Baudouin de Saint Léger : « Imaginez donc votre grand-père tentant de prendre en photo des cerfs à côté de chez lui. Il lui aurait fallu quelques journées pour un cliché, là où il faut à n’importe qui quelques heures ! » prouve, là encore, une méconnaissance totale du sujet et de la situation locale. 

Prendre régulièrement de belles photographies des grands cerfs libres et sauvages de la forêt de Fontainebleau est loin d’être à la portée  du premier randonneur venu et nécessite parfois plusieurs journées d’affût sans résultat ! Quant aux photographes qui ont choisi la billebaude (marche) pour multiplier leurs chances de croiser des animaux, ils le font dans des secteurs choisis avec soin sur la base des traces et indices laissés par nos amis les bêtes. Ces derniers ne déambulent pas au hasard et prennent grands soins (sens du vent, bruit...) à ne pas se faire détecter durant leur approche. Fontainebleau n’a rien d’un parc animalier ou d’une réserve de chasse où les animaux foisonnent derrière les grillages ! Cela sera sans doute le cas dans le futur, si un tel projet voit le jour, mais on ne parlera plus de grande faune libre et sauvage.

Le cerf bleu, Yannick Dagneau, Forêt de Fontainebleau
Le cerf bleu, Yannick Dagneau, Forêt de Fontainebleau



Pour autant, et notre belle forêt n’est plus à un paradoxe près, nos vieilles futaies sont parcourues par un grand nombre de photographes locaux (auxquels s'ajoutent  de très nombreux amateurs et touristes pendant la période du brame). Malgré ce nombre exceptionnel de photographes dans les bois, il y a chaque année depuis dix ans de moins en moins d’images nouvelles de ces grands cerfs prises en forêt de Fontainebleau. Et c’est bien sur la base d’observations répétées, parfois quotidiennement, que ces photographes s’inquiètent des conséquences sur la biodiversité des plans de chasse contrairement à ce qu’affirme Martin Le Noan « Sur la base de rien du tout »…

Nos amis photographes animaliers locaux sont aguerris. Ils connaissent presque chaque recoin du territoire mais surtout, à force d’observations, ils connaissent parfaitement les habitudes de tel ou tel animal qu’ils ont identifié et suivi année après année. Car les cerfs (les mâles donc) sont assez facilement identifiables une bonne partie de l’année grâce à la forme de leurs bois.

Mais, parlons plutôt des cerfs et de leurs territoires.


Le cerf élaphe est présent historiquement dans les pays de Fontainebleau et de Bière. La gestion de cette espèce y est dite “patrimoniale”, avec un suivi réalisé par l’ONF (en forêt domaniale), débuté en 1995, basé sur des indicateurs biométriques (sur les animaux tuées) et des comptages nocturnes réalisés avec la fédération des chasseurs. Au sud des forêts du Pays de Fontainebleau, se trouvent le territoire cynégétique dit du Bocage, composé de 12 107 ha de forêts privées (92 %) et 1 074 ha de forêt domaniale (8 %) et celui du Gâtinais Les chasseurs ont créé le Groupement d’Intérêt Cynégétique du Bocage au mois de janvier 1987, afin de mettre en place et coordonner des actions de gestion en faveur de cette espèce. Le suivi de cette population est réalisé, là aussi, par l’intermédiaire d’un comptage nocturne (mesure INA : Indice Nocturne d’Abondance) depuis 2006. Sur ces trois territoires, l’objectif est de maintenir la population de cerfs à un niveau compatible avec l’équilibre agro et sylvo cynégétique. A ces ensembles, il faut aussi associer au nord, le territoire de chasse limitrophe dit Brie Humide Villefermoy Est de 63 889 ha dont 21 554 ha boisés à 79% en forêts privées. Depuis la construction de l’autoroute A5, en parallèle de la ligne LGV SUD, infrastructures délimitant l’Ouest et Est, le Cerf élaphe n’est aujourd’hui présent que sur la partie Est du pays cynégétique (soit 12 439 ha boisés). Les échanges d’individus du massif de Fontainebleau avec ceux de Villefermoy se sont estompés au fil des ans, les deux infrastructures (routière et ferroviaire) ayant interrompu leur libre circulation. A noter que sur ce territoire, en plus des comptages mentionnés plus haut, il est réalisé depuis 1985 un suivi annuel des cerfs bramant.

Tableau des territoires cynégétiques de Seine et Marne
Tableau des territoires cynégétiques de Seine et Marne



Selon les saisons, les cerfs se trouvent à différents endroits de ces territoires. Au printemps, les bois des mâles poussent après être tombés l’hiver précédent. Ils vivent alors bien cachés car la hiérarchie au  sein des hardes est incertaine. En effet, les grands mâles dominants n’ayant plus leurs impressionnants bois, peuvent facilement voir leur autorité contestée à cette période.  Ils se nourrissent des premières pousses et commencent à se rapprocher des cultures. Les cerfs et les biches vivent alors en hardes séparées. En été, les mâles sont bien souvent cachés dans les lisières ou boqueteaux périphériques des grandes forêts domaniales comme Fontainebleau où il y a moins de promeneurs et où la proximité des champs leur fournit de la nourriture en abondance. Les cervidés sont des animaux  qui vivaient initialement en milieu ouvert et qui se sont réfugiés en milieux plus fermés de par la pression anthropique et cynégétique. On peut observer dans les champs les cerfs à la tombée de la nuit ou au lever du jour, mais dans les endroits trop fréquentés, ils ne sortent qu’à la nuit noire et rentrent bien avant le lever du jour. Mâles et femelles sont encore en hardes séparées. Les femelles se déhardent pour mettre bas. En automne, les mâles brament pour courtiser les biches (qui sont de nouveau en harde) en forêt. Ils ne se tolèrent plus entre eux et les combats peuvent être violents et parfois mortels. Les jeunes cerfs tournent autour des places de brame dans l’espoir de kidnapper une femelle. Le brame est la meilleure saison pour observer les cerfs car leur vigilance baisse et, qui plus est, les plus gros   cerfs ne se montrent vraiment qu’à cette période de l’année. Cependant, le dérangement à cette époque cruciale de l’année pour leur reproduction est de plus en plus important du fait notamment des nombreux curieux (dont les photographes) et de la chasse d’été. Enfin, en hiver, les deux sexes vivent à nouveau ensemble en forêt et dans les fourrés pour se protéger du froid et des regards (notamment des chasseurs). Ils recherchent les ronces et le lierre pour se nourrir. Les grandes hardes de biches sont alors plus faciles à voir et il n’est pas rare d'y observer un ou plusieurs cerfs. Attention, les mâles sont toujours les derniers, et s’ils estiment que les biches ont remarqué un danger, ils ne se montrent pas !  Les grands cerfs restent entre eux parfois accompagnés de plus jeunes (cerfs dits "pages").

Un beau grand cerf libre et sauvage de Fontainebleau par Valdet Galica
Un beau grand cerf libre et sauvage de Fontainebleau par Valdet Galica



Bref, l’affût au lever du jour ou au crépuscule à un carrefour forestier est sans doute la meilleure manière d’observer les animaux en déplacements. Plus le nombre de chemins se croisant au carrefour est important, plus les chances d’observations sont nombreuses. Si toutes les rencontres avec un animal sauvage sont marquantes, malheureusement pour eux, celles avec un cerf sont parmi les plus recherchées ! D’ailleurs, photographes et chasseurs partagent cette même quête du grand mâle aux bois imposants. Si le trophée du photographe se limite à une belle image et parfois les bois ramassés lors d’une balade, les chasseurs aiment à exposer leur tête. Ils ont d’ailleurs mis au point des systèmes de classement des trophées dont le CIC du Conseil supérieur de la chasse. Nos pauvres cerfs de Fontainebleau ont très peu de chance de figurer en bonne place dans ce classement qui prend en compte le poids et les dimensions des bois, mais ce n'est pas le cas de certains cerfs d’élevage sélectionnés génétiquement pour leur ramure. Ainsi, des cerfs de souche britannique portant de très gros bois de plus de 50 cors sont parfois introduits dans les réserves de chasse françaises. Il en fut découvert un dans une forêt de Lozère en 2016.  Cette quête du trophée est aussi inscrite dans le plan de chasse qui fixe, par espèces, le nombre d’animaux à tuer. En effet, le plan de chasse du cerf est chez nous, à la fois quantitatif et qualitatif, et distingue donc le nombre d’individus par catégories de cerfs en fonction du nombre de cors. 

En effet, les bois d’un cerf sont tous différents. Le daguet (jeune cerf) ne porte qu’une paire de pointes (on parle de dague). A partir de deux ans, les bois du cerf peuvent porter plusieurs pointes nommées andouillers et qui aident à individualiser les mâles de par le nombre et forme. Comme les bois poussent par paires, lorsque l'on parle d’un cerf de 8 cors, c’est parce que chaque perche (ou merrain) porte 4 andouillers. En fonction de l’allure générale de la ramure, on parle de cerfs à pointes, cerfs à fourches et cerfs à empaumures lorsque les dernières pointes forment une sorte de main. Leur taille augmente à chaque repousse, mais le nombre d’andouillers n'indique pas l'âge de l'animal. Un cerf peut porter 12 cors à 3 ans et 8 cors à 10 ans. Sa ramure atteint son apogée vers l'âge de 8 à 10 ans et peut régresser au-delà de 12 ans. On dit alors du cerf qu’il "ravale". La santé, l'âge et le régime alimentaire des cerfs sont autant de facteurs déterminants dans la croissance annuelle des bois. A cela s’ajoute, la génétique. 

Un beau 12 à Fontainebleau par Yannick Dagneau



Ainsi, à Fontainebleau où les sols sont pauvres et la nourriture peu abondante, les cerfs de souche locale développent une ramure assez simple et peu imposante (10 à 14 cors) qui les distingue assez facilement de cerfs d’élevage comme on peut en voir à Chambord et Rambouillet. Parmi les plus grands observés et photographiés à Fontainebleau, celui que l’on appelait avec respect Monseigneur, arborait des bois majestueux de 24 cors signalant sa provenance d’une souche étrangère à la forêt. Cet individu remarquable a longtemps bénéficié d’une impunité totale lui permettant de transmettre son patrimoine génétique. Il a été photographié  jusqu’en 2021 par Yannick et Valdet et ses bois de l'année ont été trouvés en 2022. Depuis, rien... ou presque. Certains affirment l’avoir encore observé mais il aurait ravalé. Il nous semble d'ailleurs peu probable qu’il ait été victime d’un accident de la route ; son corps aurait été signalé. Il peut être mort de causes naturelles (vieillesse ou des suites d’un combat pendant la brame par exemple) mais sans doute, là encore, quelqu’un aurait signalé son cadavre car nombre de ces photographes connaissaient très bien les lieux qu’il fréquentait en fonction des saisons et l'ont cherché en vain !  De récents témoignages non vérifiés laissent à penser qu’il a aussi pu simplement changer de territoire ou trouver refuge dans les enclos d’une chasse privée comme ceux qu’il fréquentait à l’automne à Villiers-en-Bière. Enfin, reste l'hypothèse assez vraisemblable qu’il ait été braconné.

Maintenant, parlons un peu du sujet qui fâche : le plan de chasse.


Nous avons bien écrit le plan de chasse et non "la chasse" ou les chasseurs ! Nous ne reviendrons pas comme indiqué en introduction sur la nécessité de réguler les espèces y compris les cervidés. Toutefois, nous pensons, comme certains de nos amis photographes, que les plans de chasse sur 3 ans ne garantissent absolument pas le maintien de l'espèce dans les années à venir au rythme des prélèvements actuels. 

Pour le cerf, le plan de chasse est aussi qualitatif ; c’est-à-dire qu’il est constitué de cinq catégories différenciées : CEIJ (Cerf Elaphe Indifférencié Jeune) : Bracelet destiné à marquer les animaux de sexe mâle ou femelle âgés de moins d'un an uniquement ; CEF (Cerf Elaphe Femelle) : Bracelet destiné à marquer les animaux de sexe femelle d’un an et plus. Ce bracelet peut aussi être utilisé pour le marquage des animaux de catégorie CEIJ de sexe femelle. CEM-1 (Cerf Elaphe Mâle 1) : Bracelet destiné à marquer les animaux de sexe mâle âgés de 1 an et plus (DAGUET) jusqu’à 10 cors maximum (nombre d’andouillers total comptabilisé sur les deux merrains). Seuls sont comptabilisés les andouillers de plus de cinq centimètres de long. Ce bracelet peut aussi être utilisé pour le marquage des animaux de catégorie CEIJ de sexe mâle. Et enfin, CEM2 (Cerf Elaphe Mâle 2) : Bracelet destiné à marquer les animaux de sexe mâle à partir de 11 cors et plus (nombre d’andouillers total comptabilisé sur les deux merrains), y compris les cerfs « mulet » (cerfs ayant perdu leurs bois). Seuls sont comptabilisés les andouillers de plus de cinq centimètres de long. Ce bracelet peut aussi être utilisé pour le marquage des animaux de catégorie CEIJ de sexe mâle et CEM 1. Dans certaines zones, un bracelet CEI (Cerf Elaphe Indifférencié) : Bracelet destiné à marquer les animaux de sexe mâle ou femelle, jeunes ou adultes a été ajouté.

Le plan de chasse 2019/2020, établi en Préfecture pour le seul massif de Fontainebleau, prévoyait 118 cervidés et celui de 2020/2021, 114 cervidés. Sur la saison de chasse 2022/2023, à Fontainebleau, 204 cerfs ont été prélevés pour un plan de chasse fixé à 263 à minima (410 au maximum) selon la répartition suivante : CEIJ à minima 85 à maxima 140, CEF : 85 – 130, CEM1 80 à 115, et CEM2 10 à 25 soit un total de 260 à 410 cervidés (contre 530 à 720 chevreuils). Par ailleurs, notez que dans le but de faciliter la réalisation du plan de chasse, le plan peut glisser sur 3 ans.

L'activité chasse en forêt de Fontainebleau par l'ONF
L'activité chasse en forêt de Fontainebleau par l'ONF



La question est donc de savoir à quel niveau de population correspond l’équilibre entre le maintien de l’espèce et les dégâts aux cultures (y compris forestières) ? 

Ces plans de chasse sont établis sur une estimation approximative de la population de 600 à 800 individus par territoires cynégétiques. Mais c'est oublier que les cerfs vivent ici en passant presque quotidiennement de l'un à l'autre. Pour ne prendre que les 27000 ha de l'ensemble domaniale de Fontainebleau, une population faible selon les critères de OFB serait de 1 cervidé pour cent hectares soit 270 cerfs, une population forte serait de 4 cerfs pour 100 ha soit 1 080. Ils nous semblent donc que l’estimation actuelle de 600 à 800 cervidés pour le territoire cynégétique de Fontainebleau ne met pas en péril l’équilibre sylvicole. Il n’en n’est pas de même pour les chevreuils qui font beaucoup de dégâts sur les jeunes plans comme vous pouvez le deviner d'après le tableau ci-dessous.

source CEMAGREF


On l’a déjà dit à plusieurs reprises, la méthode de comptage nocturne ne nous semble pas être un indicateur très fiable. En effet, estimer le nombre d’individus présents en comptant les paires d’yeux reflétant la lumière des projos la nuit pendant quelques jours en mars est très empirique. D’une part parce que cela ne prend pas en compte les déplacements des hardes à l’intérieur du territoire et d’un territoire à l’autre (risque de comptage en double, triple…), d’autre part, parce que cela ne qualifie nullement le type de cervidé. Du coup, on peut aussi s’interroger légitimement sur la pertinence de la répartition du nombre de bracelets par catégorie. La forêt a beau être de plus en plus morcelée (parcelles grillagées de plus en plus nombreuses), elle n’est heureusement pas hermétique et il y a bien longtemps que les cerfs ont compris qu’ils pouvaient trouver refuge dans les forêts périphériques parfois bien moins fréquentées ! Philippe Lustrat, naturaliste et photographe, en témoigne très régulièrement dans ses publications (voir par exemple cerfs des villes et cerfs des champs ou son ouvrage sur la photo animalière) et c’est souvent en périphérie de la domaniale qu’il monte ses affûts lui permettant de nombreuses prises de vue de cerfs de 14 cors.


Ajoutons à ces inventaires faits à la louche que la population de cerfs à Fontainebleau est gérée en dent de scie depuis plus de cinquante ans. En gros, on chasse jusqu’à ce que l’effectif deviennent trop bas, on baisse alors les prélèvements puis on repart à la chasse ! Comme nous l’avons déjà indiqué dans le passé, par deux fois, il a fallu réintroduire des cerfs pour permettre le maintien de cet animal emblématique des anciennes forêts royales ! En 1984-85 on dénombrait environ 120 cerfs et biches sur les 18.000 hectares du massif bellifontain. La mobilité des sujets ne permettait pas une estimation plus précise mais cela correspondait à une densité très faible comparée aux chiffres d'autres forêts de la région parisienne. (A la même époque, à Compiègne, par exemple, sur à peu près 15.000 ha, on comptait 600 cerfs et biches). Dans « Écologie appliquée à la sylviculture » (1983, pages 144-145) Clément JACQUIOT affirmait que les conditions optimales pour l’équilibre des 17.800 ha de Fontainebleau serait une population de 214 adultes (25 dix-cors et plus, 15 sujets 4e et 3e tête, 15 autres 2e tête et daguets, 159 biches produisant chaque année 80 faons). A cette époque, 15 cerfs et 4 biches ont été tués à la chasse en 1988, et 17 cerfs et 12 biches en 1993. On était bien loin de la centaine fixée aujourd'hui et la population de cervidés n'a pas été multipliée par 10 en 30 ans ! Il n'y a qu'à observer la courbe de l'indice nocturne d'abondance (INA) en baisse constante depuis 20 dans la forêt de Fontainebleau et celle des cervidés tués chaque année qui se trouve nettement au-dessus de la première depuis dix ans !
Comparaison des courbes de réalisation du plan de chasse et indice nocturne d'abondance
Comparaison des courbes de réalisation du plan de chasse et indice nocturne d'abondance

Durant la période 2014-2020, les six territoires cynégétiques seine-et-marnais pour lesquels une gestion qualitative du cerf élaphe a été instaurée, font état d’une attribution moyenne de 890 bracelets (tout sexe et âge confondus), pour un taux de réalisation de l’ordre de 70 %. Si les chasseurs semblent s’enorgueillir, cela nous semble trop important, les mêmes cerfs fréquentant souvent deux territoires. C’est d’autant plus problématique en ce qui concerne les "grands bois" car les 14 cors et plus se comptent sur les doigts des deux mains alors que 10 à 25 bracelets sont attribués dans cette catégorie (CEM2) ! A cela s'ajoutent les cerfs tués dans les accidents de la route et le braconnage ! Ce sont donc probablement plus de 400 à 500 cervidés (cerfs, biches, faons) qui ont été tués l’année dernière dans le massif de Fontainebleau et ses environs proches.

Comme nous l’avons indiqué plus haut, les grands cerfs quittent de plus en plus souvent la forêt de Fontainebleau pour se réfugier dans sa périphérie diminuant ainsi la pression qu’ils exerçaient sur la régénération de la forêt. Abattre 11 grands cerfs à Fontainebleau et 11 grands cerfs dans sa périphérie revient, d’après nous, à abattre près de 50% des cerfs de cette catégorie en une seule année. A ce rythme, les chasseurs y compris d'images pourront toujours courir à la recherche de beaux trophées ! Interrogé par nos confrères de la République sur une raréfaction potentielle du nombre de cerfs et de la biodiversité en général dans le massif, l’ONF s’inscrit en faux. « Selon nos chiffres, la population est plutôt stable et aucun indice ne laisse à penser à une baisse de la population des cerfs », répond Matthieu Augéry. Toujours selon l’ONF, des relevés biométriques sont réalisés sur les animaux prélevés pendant la saison de chasse et des suivis nocturnes sont effectués en mars. « On s’appuie sur un faisceau d’indices qui permettent de dégager des tendances », poursuit-il. Ces indices ne sont pas en concordances avec de nombreuses observations quotidiennes d’une bonne dizaine de photographes animaliers aguerris ! Il est peut-être encore temps de les écouter !?

D'ailleurs, en parlant d'observation des indices, un truc nous a mis la puce à l'oreille : la comparaison des courbes des INA et de réalisation des plans de chasse a de quoi soulever quelques légitimes inquiétudes chez les photographes, les amoureux de la nature et, même, les chasseurs. Quant à celle du nombre de cerfs bramant dans la zone Brie Villefermoy, elle n’est guère plus encourageante ! Les indices INA sont tous en baisse alors que les attributions et réalisation sont nettement supérieures. Et dans le Bocage, l'INA est catastrophique !




Alors oui, c'est vrai, même pour ces photographes, il est très subjectif de juger de l’état d’une population sur le nombre de rencontres. Le hasard et les changements dans la forêt (notamment les coupes, les engrillagements et la pression touristique) ayant une énorme influence sur la fréquentation d'un territoire par les cervidés. Toutefois, comme pour le changement climatique, au fil du temps on s'aperçoit que notre perception des choses n’est pas si mauvaise. A Fontainebleau, des secteurs historiquement réputés pour être riche en cervidés sont aujourd'hui fortement dépeuplés  en cerf (pas forcément en biches). Il est donc possible que certains cerfs aient trouvé refuge dans de petits espaces dans lesquels ils circulent moins et soient moins visibles. Par ailleurs, plus de la moitié des biches observées en été semble être accompagnées d’un faon de l’année, c’est donc qu’il y a encore des mâles mais vivant sans doute le plus souvent hors massif de Fontainebleau. Il y a donc de l'espoir à condition d'apprécier la population de cervidé sur l'ensemble des territoires cynégétiques précités notamment en coordonnant la réalisation des comptages au même moment sur celui de Fontainebleau et du bocage.


En attendant, ceux qui parmi vous souhaitent défendre la cause de la faune sauvage à Fontainebleau sont invités à adhérer à la nouvelle association lancée par notre ami Yannick Dagneau qui milite sur le sujet depuis de longues années.


Renseignements :
yannickdagneau.com est visible aussi sur Facebook et Instagram. 
Contact : yannick.dagneau @ wanadoo.fr
et Valdet Galica peut être contacté directement dans son atelier de photographie à Fontainebleau

Monseigneur, en forêt de Fontainebleau, par Valdet Galica
Monseigneur, en forêt de Fontainebleau, par Valdet Galica


MISE A JOUR DU 13/03/2024 DOCUMENTS DE L'ASSOCIATION P.U.F.V








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1 commentaire :

  1. Trois remarques pour faire suite à ce très bon article :

    1. Il est indéniable pour qui fréquente assidûment la forêt que les observations de cerfs (entre autres) en son coeur ont diminuées d'une part et que la période du brame est bien moins intense qu'il y a encore une dizaine d'années. Je veux dire que si on admet qu'il existe une corrélation entre densité d'individus en âge de participer au brame et intensité du brame, l'unanimité des photographes et naturalistes à déplorer des brames de plus en plus discrets n'est pas anodine.

    2. Il faut que les photographes animaliers s'interrogent sur leur responsabilité dans la perception publique de la forêt et de sa faune sauvage. Une image ne doit pas uniquement flatter l'ego de son auteur puis alimenter l'illusion de profusion de vie animale dont le profane peut être victime quand il parcourt le net à la recherche des "cerfs de Fontainebleau". Autrement dit, le photographe animalier bellifontain de 2024 qui empilerait des images sur le net sans jamais alerter ou militer pour la sauvegarde de la forêt et de ses habitants légitimes ne ferait qu'aggraver la situation en favorisant l'illusion d'abondance. Dans cette optique le travail de la tl2b et l'initiative de Yannick Dagneau sont louables.

    3. Ne pas oublier que l'ONF est aux abois budgétairement et que la tentation est grande pour le gestionnaire de fortement valoriser le patrimoine dont il a la garde. Ce qui signifie que chaque revenu est bon à prendre -notamment celui de la chasse- et que le plus petit empêcheur de produire du bois en rond doit être neutralisé. La tentation est donc forte de réduire drastiquement les populations de cervidés supposément grandes consommatrices de jeunes plants, quitte, peut-être, à avoir la main lourde avec les attributions de bracelets.

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