[BLEAU] Les Chroniques de Pascal : Episode 2 Rencontre avec Gilles Naudet

Comme nous l'avons indiqué dans le premier épisode, la TL2B a ouvert ses colonnes à notre confrère journaliste et spécialiste du Massif de Fontainebleau depuis 1984 : Pascal Villebeuf. Au travers de ses Chroniques, il revient sur la gestion de notre forêt sur ces dernières décennies à travers différentes rencontres de personnalités locales s'étant impliquées dans la sauvegarde du massif. Ce deuxième épisode revient sur les combats  de Gilles Naudet, ancien directeur adjoint de la direction départementale de l’Agriculture. Nous avions consacré plusieurs articles sur les problèmes liés au grignotage de la forêt Fontainebleau par l'urbanisation

 

La Ville de Fontainebleau est cernée par les pins vue depuis le Point de vue de la Bombarde
La Ville de Fontainebleau est cernée par les pins vue depuis le Point de vue de la Bombarde

PRÉAMBULE :  Regardons sous l’écorce ! Car il est temps, en dehors de polémiques stériles, en dehors des émotions, de faire le point sur l’actualité de la forêt de Fontainebleau et de son avenir, en évoquant les combats passés des écologistes, de livrer le témoignage de nombreux acteurs du massif, de l’Office National des Forêts en passant par les associations de défense de l’environnement, les collectifs, des naturalistes, de simples promeneurs. Pour que cela soit clair, je ne ferais pas de l’ONF bashing , mais je resterais critique. Non pas envers les forestiers, mais sûrement envers sa direction régionale ou nationale et l’Etat qui malheureusement n’a pas de réelle politique forestière et laisse une filière bois désorganisée et très peu localisée. 

Bien sûr, dans ces papiers, dans ces reportages, il y aura des erreurs, même si l’ensemble de mes informations seront sourcées, sauf s’il s’agit de confidences en Off. Mais en tant que journaliste, j’ai toujours essayé d’être honnête. Bien sur, face au symbole que représente le massif de Fontainebleau, face à une gestion sylvicole que j’appellerais tracée, face aux évolutions du climat et du déséquilibre créé dans le massif, aborder ce dossier est compliqué. Il n’y a pas qu’une vérité. Je ne prétends pas la détenir. 

Mais il y a aussi des évidences constatées sur le terrain qui ne peuvent être niées : mauvais choix sylvicoles, manque de moyens, non contrôle du flux touristique dont une minorité mais relativement conséquente qui saccage le massif... Le nier, c’est approuver les côtés sombres de notre société, monstre de divisions, monstre de l’individualisme forcené. Les vérités font aussi peur à beaucoup. Car elles nécessitent une remise en question, un changement de paradigme, des habitudes, le renoncement à nos attitudes de simple consommateur de nature. Bien sur, ceux qui liront ces textes, sont sûrement déjà en pleine conscience de cette situation. Mais de la conscience à l’action, il y a un pas qu’il faut franchir. Sans violence, mais avec fermeté. Être citoyen, c’est valable pour tous et pour tout ce qui concerne notre société. La protection de la nature, c’est notre avenir, sans être écolo artificiellement, nous devons prendre notre environnement en main. Saviez vous par exemple que la France est un des pays les plus pollués d’Europe.  Tracer un chemin c’est compliqué. Mais chaque jour, la citoyenneté, le respect doivent dicter notre conduite. C’est cela qui fera que nous conserverons ce que certains appellent trop facilement : « ma liberté »!!! Il nous suffit donc de communiquer notre amour de la nature, sans excès, à ceux qui n’ont pas encore cette pleine conscience. Savoir que protéger la nature, c’est sauver l’humanité. Bien sur les remarques seront acceptées. Mais sans phrases polémiques, sans déchaînement contre les uns ou les autres. Si des excès sont constatés, ils seront supprimés. Merci.  

Gilles Naudet : il a voulu lutter contre le grignotage du massif

C’est un des personnages clé de l’histoire du massif de Fontainebleau, discret et pourtant il représente un des symboles de la protection de l’intégrité du massif. Normal, il fût pendant trente ans le directeur adjoint de la direction départementale de l’Agriculture (DDA).  Donc il connaissait bien la réglementation concernant la forêt domaniale. Cet octogénaire est aussi un des fondateurs de l’association Pro Natura, spécialiste du rachat de zones naturelles exceptionnelles en biodiversité, depuis 40 ans en collaboration notamment avec l’association des Naturalistes de la Vallée du Loing et de Fontainebleau. 

Mais commençons par son combat, comme principal opposant au grignotage de la forêt. Ce morcellement du massif qui débuta notamment après la seconde guerre mondiale et qui s’intensifia par la suite (agrandissement de l’INSEAD ou reconversion des terrains militaires  dans le quartier du Bréau). Et justement, cela tombe bien, car nous avons plusieurs souvenirs en commun. Le premier se situe au milieu des années 80. Je suis journaliste débutant. Et je suis convié par les écolos de l’époque, à une manifestation, à l’Obélisque de Fontainebleau, notre place de la Concorde à nous.

Las. En fait il s’agit de fêter une victoire-défaite. Un groupe de défense de l’environnement, dont Gilles Naudet et un certain Jean Dayez, spécialiste de la distribution de tracts écolos ont osé protesté contre l’élargissement de la Nationale 7 (D607 actuelle). Ce qui avait conduit à grignoter la forêt sur plusieurs kilomètres, entre l’Obélisque et La Croix de St Hérem. A l’époque le règne de la bagnole ne cesse de s’amplifier. « On a été jusqu’au conseil d’Etat. On avait gagné. Mais l’élargissement de la Nationale était fait. C’était trop tard » soupire Gilles Naudet. En fait ce dernier confie qu’il ne faisait qu’appliquer la loi. « La forêt domaniale est inaliénable.  C’est tout! »

C'est au pied de la plus vieille RBI que se trouve l'une des plus vieilles enclaves dans la forêt de Fontainebleau, l'hippodrome de la Solle, créé en 1876 sur 54 ha sur un ancien champs de manœuvres


Apparemment la loi a été souvent contournée. Exemple à la fin des années 80, une nouvelle polémique surgit au coin du bois. L’Insead, la Rolls Royce des business school veut s’agrandir. Ses responsables de l’époque font même du chantage. Ils menacent de transférer le campus en Asie. Coup de chance, face à ce dernier, une parcelle de forêt domaniale est déjà un peu déboisée. « Là, sur ce dossier, on s’est fait avoir.  La cour administrative d’appel avait jugé que ce bout de forêt n’était pas boisé. Le Conseil d’Etat ne pouvait statuer que sur le juridique, pas sur le fond » Patatras. 

L’un des plus gros dossiers traités par Gilles Naudet fût celui de la reconversion des terrains militaires du Bréau (près de 15 hectares).  Un grand espace laissé vide, après le départ de la garnison militaire (1994-1996). Un grand hôpital y est envisagé. Mais Gilles Naudet sort un joker de sa poche. « J’avais déniché un décret signé par le président Sadi-Carnot (1837-1894) qui disait que si les militaires partaient, cette parcelle devait redevenir forestière ». Mais certains mettront en avant un prétexte de Déclaration d’Utilité Publique pour le projet d’hôpital avec des compensations forestières. Le projet de grand hôpital échoua. Mais la parcelle fût quand même urbanisée pour la construction d’un cinéma, le siège des surgelés Picard... On peut admettre que la cité impériale ait besoin de s’étendre, même si d’autres crient au « bétonnage » de ce quartier.  Comme beaucoup de techniciens en urbanisme lucide, on regrettera surtout un manque de vision d’ensemble pour ce quartier.  En tout, le grignotage de la forêt domaniale représente environ 1000 hectares en un siècle, si l’on compte d’autres concessions : le golf, le stade, le stade équestre du Grand Parquet, etc. 

Mais autant Gilles Naudet représente un symbole écologique pour l’intégrité du massif, autant, de par sa formation d’ingénieur agronome, il n’est pas opposé aux coupes d’arbres déplorés par une partie du grand public. « Régénérer la forêt est indispensable. Maintenant, on est aussi face à une politique d’Etat sans vision. Il n’y a pas vraiment de vraie politique forestière en France. Pour Fontainebleau, il est indispensable que l’ONF puisse disposer d’un personnel plus important, pour gérer les parcelles avec plus de finesse. C’est impensable qu’il n’y ait plus d’ouvriers forestiers pour soutenir cette gestion. L’Etat n’investit plus et du coup l’ONF est en difficulté. » 

En revanche, Gilles Naudet a une position tranchée sur l’omniprésence du résineux dans le massif de Fontainebleau. « C’est anti écologique!! Il est sûr que pour l’Office, c’est moins coûteux de laisser pousser du résineux, plutôt que de privilégier les feuillus.  Mais s’il n’y a pas un suivi fin sur les parcelles de chênes en régénération, les pins envahissent tout. » 

Petit à petit, les résineux envahissent les zones les plus préservées de la forêt de Fontainebleau où seul les hêtres assuraient un couvert végétal suffisant pour limiter leur croissance.


PRO NATURA ILE DE FRANCE

L’histoire de Pro Natura, auquel a participé Gilles Naudet est originale. En 1988, un architecte, un agronome, un juriste et un forestier, tristes de voir le patrimoine naturel d’Ile-de-France disparaître peu à peu, à cause de l’urbanisation, ont voulu créer un projet pour la conservation des espaces naturels : Pro Natura Ile-de-France.

« Depuis, grâce à des mécènes, adhérents-donateurs, nous avons acquis plus de 300 hectares de bijoux de la nature, dont 200 en Seine-et-Marne. Exemple à Moret-sur-Loing, les fameuses pelouses sèches de la vallée du Cygne où l’on y trouve de rares orchidées et le Lézard Vert, des parcelles en lisière de la forêt de Fontainebleau (réseau Natura 2000), zone humide de la Bassée (au sud de MONTEREAU), tourbière à Arbonne ». Pour participer à cette œuvre de conservation, vous pouvez adhérer à l’association (50 euros) ou faire un don. Renseignements sur Pro-natura-idf

 

Pascal Villebeuf

Parmi les nombreux articles nous avions aussi évoqué ce problème lors de la vente du Rocher de la Ségognole ou lors de nos évocations des problèmes liés au trop dense et dangereux réseau routier qui traverse cette forêt. Vous pouvez retrouver certain de ces dossiers dans nos archives notamment à l'année 2000.

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