[BLEAU] Les chroniques de Bleau par Pascal Villebeuf, Episode 1, Jean Philippe Siblet

Comme vous avez pu le constater, la cordée de rédaction de la TL²B ne peut actuellement plus assurer la publication des articles aussi régulièrement que nous le souhaiterions ! Nous nous en excusons une nouvelle fois. Nous avons pris beaucoup de retard dans la diffusion des actualités qui se sont limitées le plus souvent aux partages sur nos réseaux sociaux. Alors, nous avons décidé d'ouvrir nos colonnes à notre ami Pascal Villebeuf. Depuis 1984,  Pascal suit de très près l'actualité du Pays de Fontainebleau en qualité de journaliste (notamment au Parisien). Comme nous, il a acquis une grande connaissance du massif de Fontainebleau, de sa gestion et des associations, et comme nous, il n'hésite pas à dire ce qu'il en pense, même si ce n'est pas toujours politiquement correcte. Nous ne partageons pas toujours le même point de vue que lui mais c'est aussi cela la (bio)diversité de Fontainebleau. En parallèle nous vous invitons à (re)lire notre dossier sur l'historique des différents statuts de protection de la forêt publié il y a bien longtemps. Nous commençons donc la série des chroniques sur Bleau rédigées par Pascal avec cet entretien avec Jean Philippe Siblet. Dans ces Chroniques, il reviendra sur l'historique de la gestion de notre forêt en apportant un éclairage différent au travers de divers rencontres et portraits de personnalités de cette forêt.

Réserve Biologique Intégrale de la Solle
La Réserve Biologique Intégrale de la Solle est sans doute ce qu'il y a de plus proche d'une
forêt primaire après l'abandon de la sylviculture en 1861


Chronique n°1 L'avis de Monsieur Siblet sur la sauvegarde de la forêt

« Actuellement la forêt de Fontainebleau n’est pas protégée efficacement ! » dit Jean Philippe Siblet, Président de l’association des Naturalistes de la Vallée du Loing (ANVL) et de Fontainebleau et ex chargé de mission à la direction régionale de l’environnement (ex DIREN responsable cellule de protection de la nature. Il fût aussi pendant treize ans directeur du service patrimoine naturel et de son expertise au Muséum d’histoire naturel de Paris.

Resté discret depuis des années, il est sans nul doute l’un des plus lucides sur l’état et l’avenir du massif de Fontainebleau. Il a surtout une vision globale des nombreux problèmes que pose la gestion de l’Office des Forêts, lui qui a milité de façon active pour la création d’un parc national. Voici son analyse, au moment où certains citoyens s’éveillent à l’écologie. 

« Le massif de Fontainebleau est la forêt de plaine la plus riche, la plus exceptionnelle en Europe de l’ouest ! Elle mérite donc un traitement d’exception qui la dispense de toutes contraintes économiques et ce n’est pas le cas actuellement. Seul un statut de Parc National pourrait la protéger de façon efficace » affirme haut et fort Jean-Philippe Siblet.

Pour ce dernier, se cantonner à critiquer les coupes d’arbres ne résume pas le débat. Brandir de l’autre main un certain type de régénération de quelques peuplements, comme modèle prôné par l’ONF non plus.

« La forêt n’a pas besoin de l’homme pour pousser. La forêt évolue avec ou sans l’intervention humaine. Henri IV venait chasser à Fontainebleau dans ses chers déserts. Car à l’époque le massif de Fontainebleau n’était constitué que de landes et de chaos rocheux (au début du 20ème siècle on parlait encore des déserts d’Apremont ou de Franchard). Puis Colbert du temps de Louis XIV y fit pousser moult chênes et déjà des pins, indispensable notamment à la construction de navires. Malheureusement, dès la fin du 19ème siècle, les forestiers de l’époque plantent 6000 hectares avec du pin, jugeant que certaines parcelles ont un sol trop pauvre pour accueillir des feuillus. Sûrement une des erreurs majeures qu’il n’aurait pas fallu commettre. 

Réserve Biologique Intégrale de la Solle


D’ailleurs au même moment démarre une lutte écologique qui ne cessera pas. Les peintres de l’école de Barbizon pestent contre les pins qui commencent à coloniser tout. C’est eux qui ont contribué à la création des fameuses réserves artistiques (1094 hectares en 1863, par décret impérial) permettant de préserver leurs paysages préférés. Ceux que vous retrouvez aux musées de l’auberge Ganne à Barbizon ou à Orsay. C’est alors la première réserve naturelle du monde, bien avant celui de Yellowstone aux USA, créé en 1872. 

Premier projet de parc national

Peu de personnes savent que le premier projet de parc national date de 1911, grâce aux artistes de Marlotte. Puis l’idée est reprise par les naturalistes de la vallée du Loing en 1913, lors de la création de l’association. En 1914, un projet de loi est déposé. Mais la guerre fait avorter ce dossier!

Et puis il y eût les éco guerriers dans les années 90 et les différentes tentatives pour aboutir de nouveau à  la création d’un parc national. Pour l’instant il n’existe aucun statut ne préservant l’intégrité entière de l’intérieur du massif, même si  celui de Natura 2000 permet une certaine préservation de la flore et la faune. 

Et Jean-Philippe Siblet de s’étonner. « C’est très bien de la part de citoyens de s’élever contre des coupes de bois. Mais la plupart du temps, ils ne voient que le volet paysager du dossier. Et c’est insuffisant. Il existe un plus large problème pour le massif de Fontainebleau. L’essentiel des visiteurs ne viennent malheureusement que pour consommer de la forêt ! »

D’où la nécessité d’un énorme travail de pédagogie,  notamment sur le besoin du maintien d’une grande biodiversité dans le massif. « Notre association (ANVL) s’est battue pour obtenir l’agrandissement des réserves biologiques intégrales jusqu’à 1000 hectares. Et on a aussi 2000 hectares de réserves dirigées. Pour un massif de 25 000 hectares ce n’est pas grand chose. Ces réserves montrent un visage peu connu du grand public, comme une forêt abandonnée, alors que c’est le contraire. C’est une forêt qui évolue naturellement. » 

Jean-Philippe Siblet parle aussi du rôle de l’Etat. « La gestion de la forêt a été confié à un Établissement public industriel et commercial (ndlr ÉPIC ). Alors que pour Fontainebleau la mission principale devrait être la protection du patrimoine naturel. L’ONF est écartelé en devant gérer en plus la production de bois et l’accueil du public. C’est pourquoi créer un label de forêt d’exception sans en appliquer de vrais préceptes, c’est le galvauder!» 

Les vieux bois de la Réserve Biologique Intégrale de la Solle abritent une flore et une faune
particulière que l'on ne retrouve pas toujours dans le reste de la forêt


Et concernant les coupes de bois ?

« Il faut un moratoire sur les coupes, sur l’ensemble du massif et pas seulement autour de Samois. Il faut ensuite les réduire drastiquement. Et pourquoi ne pas prélever uniquement pour un marché réduit haut de gamme comme la fabrique de tonneaux ou de meubles. »

Le président de l'ANVL regrette l’échec du projet de parc national. « C’est le Muséum qui a fait l’étude pour déterminer quel nouveau parc national pourrait être créé en 2006-2007. Et c’est le massif de Fontainebleau qui réunissait tous les critères. Et puis finalement l’Etat a préféré en créer un à cheval sur l’Aube et la Côte d’Or. » (NDLR : parc national des forêts, au cœur du plateau de Langres). Et de dénoncer une autre menace qui plane au dessus du massif, l’enrésinement de presque trois quarts des parcelles. « C’est incontestable, la présence de pins acidifie massivement les sols. Cela appauvrit la biodiversité. Si l’on coupe des pins, il faudra des décennies pour restaurer l’humus !! Peu à peu on banalise les écosystèmes de la forêt de Fontainebleau. On a perdu des espèces comme le Pic Cendré ou on a des chutes d’habitat d’espèces emblématiques comme la fauvette Pitchou (30 couples seulement) ou l’Alouette Lulu (20 couples). C’est du côté des insectes que la situation est la plus grave. On a une baisse catastrophique des coléoptères xylophages. Le Taupin violacé a disparu. Tout cela car on ne conserve pas assez de vieilles futaies de feuillus. En revanche la prolifération des pins va favoriser l’invasion des scolytes. » (NDLR actuellement une centaine d’hectares dixit l’ONF). Le massif s’est aussi asséché. Enrésinement, pompage des nappes en lisière du massif, réchauffement climatique. Tout cela y participe. 

Concernant les continuités biologiques on a un vrai problème avec ces routes si larges,  notamment les anciennes nationales. « Un projet de passerelle en bois existait sur la D607 entre Fontainebleau et Barbizon. Même chose pour l’A6 à hauteur de Villiers sous Grez. Mais ces projets n’ont pas abouti. » Jean Philippe Siblet évoque également la pollution à l’ozone qui touche fortement et fréquemment le massif. « C’est connu, quant les vents dominants sont de nord ouest, la pollution de la région parisienne débarque à Fontainebleau. » 

Propos recueillis par Pascal Villebeuf

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