Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu'une forêt qui pousse !

Bonjour,

L'actualité me permet de revenir sur le mal être des forestiers. Un mal qui fait peu de bruit, sauf quand les drames surviennent. Pour une fois, cet article ne vise pas à fustiger la politique d'accueil ou les méthode de sylviculture de l'office mais simplement à soutenir les hommes et les femmes de terrain dans leur lutte silencieuse contre la transformation de leur métier...

Rappelez-vous cette année, c'est celle de la forêt !






Merci à ces forestiers de terrains. Lui est venu ramasser
la M... au Bas Cuvier avec les grimpeurs !
Vous pouvez lire l'ensemble des articles que je consacre à l’ONF et de sa gestion des forêts domaniales de Fontainebleau, des Trois Pignons, de Larchant ou de Nemours avec ce lien. Je lui reproche ses méthodes agressives de sylviculture, son manque de moyens pour mener à bien sa mission d’accueil du public et de protection de l’environnement. Toutefois, et je le précise à chaque article, je reste en bon terme avec ces forestiers de terrain, ces agents techniques qui tentent de bien faire leur travail, de lutter contre l’érosion ou les déchets avec les moyens du bord et souvent, sans le soutien de leur hiérarchie.

Bref, ce n’est pas eux que je vise mais bien l’Administration et son ministère de tutelle.

Il y a plusieurs mois (février), je vous faisais part d’une note de la Direction Générale du Trésor qui étudiait la possibilité d’une privatisation de l’Office. Une note très vite enterrée par le Ministère de l’agriculture. Trop vite peut être ?!





Souvenir d'un ami disparu...

J’ai aussi évoqué les manifestations parisiennes (en fin de page) de ces agents de la nature qui réclament d’avantage de moyens humains et financiers ainsi qu’une reconnaissance de leur travail. Ne manquez pas la vidéo placée en bas de ce site ou dans notre page consacrée aux forestiers...

Mais voilà, le mal-être des forestiers n’est pas pris au sérieux malgré leurs nombreuses actions contre leur hiérarchie. En 6 ans, ce sont 23 employés de l’ONF qui ont mis fin à leurs jours ! L’ONF, c’est un France Telecom silencieux… D’ailleurs, le 11 janvier 2011, l’ONF a reconnu le suicide d’un agent en décembre 2009, dans le Jura, était bien « imputable au service ».
Comme toute direction face à une crise d’une telle ampleur, celle de l’Office a lancé un audit social, dont les résultats sont attendus fin 2011. Ses conclusions sont particulièrement attendues en ce qui concerne les suicides. Depuis le 20 juin 2011, trois on choisi d’en finir ! Le 11 juillet, c’était un garde-forestier de Franche-Comté, père de deux enfants, le 6 juillet, un agent en Gironde et le 20 juin  un autre en Lozère...

Certains m’ont dit, l’ONF  ne gère qu’un quart des zones boisées françaises, c'est-à-dire 4,7 millions d’hectares sur les 17 millions d’hectares de forêts que comptent la France. Le reste appartient à 3,5 millions de propriétaires privés ! Donc, pas de problème… Mais bien sur !
Entre les forêts de production et celles des sociétés de chasses, que restera t’il aux promeneurs et autres amateurs de sports de pleine nature ?



La note Trésor envisagerait donc la réforme du régime forestier, c’est-à-dire des règles applicables aux forêts publiques. Comme elle n’est pas passée inaperçue, on pouvait se poser quelques question sur l’avenir de nos forêts et de l’ONF ?

Le malaise des forestiers de terrain vient certainement du fait qu’ils vivent depuis quelques années la même chose que les salariés du privé travaillant dans des entreprises en difficulté financière !

En effet, jusqu’au début des années 1980, les cours du bois permettaient à l’ONF de réaliser des ventes largement excédentaires. Mais le cours du bois a peu à peu chuté avant de plonger après la tempête de 1999. Du coup, les comptes de l’établissement public industriel et commercial (EPIC) sont passés dans le rouge. En 2008, l’État a aussi exigé que l’ONF augmente les taux de cotisation pour ses fonctionnaires à la retraite (alignement oblige). La ligne « pensions civiles des fonctionnaires » est ainsi passée de 48 millions en 2006 à 91 millions d’euros en 2010 !

Du coup, la situation financière de l’ONF est catastrophique et les ventes ne peuvent compenser les dépenses qu’il devrait faire pour la gestion de forêts consacrées à l’accueil du public et la sauvegarde des forêts patrimoniales ! En 2010, l'établissement enregistre un déficit de 14,7 millions, 2,5 millions de plus que l'année précédente. Comme toujours, la direction essaye de résoudre son problème  sur le dos des employés. L’ONF n’échappe pas à la règle. Le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux (quelque 6.500 sur 10.000 salariés) a entraîné une importante baisse des effectifs, donc une surcharge de travail pour ceux qui reste et un profond malaise ! D'ailleurs le nouveau contrat ONF-Etat pour 2012-2016 prévoit encore 700 suppressions de poste.



C’est d’ailleurs ce que confirme Jean-Noël Schmidt, secrétaire général du Syndicat national des techniciens des forêts (SNTF-FO), deuxième organisation de l’ONF : « Certains services sont à la limite du non fonctionnement : on expédie les affaires courantes, mais on ne dispose pas du temps nécessaire aux projets à long terme. La charge de travail est conséquente et l’ambiance de travail n’est pas très bonne ». Quant au SNUPFEN (Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l’espace naturel) dont je vous avais invité à signer la pétition, il appelle encore régulièrement les agents à rejoindre certaines actions : grèves, refus d’opérations de martelage (désignation des arbres à abattre à l’aide d’un marteau), rétention d’informations… Un mouvement suivi par plusieurs forestiers de Fontainebleau qui, pendant près de deux ans, n’ont plus transmis les procès verbaux de martelage. Philippe Berger, garde forestier en Haute-Saône et secrétaire général du SNUPFEN prévient : « C’est une manière de tirer la sonnette d’alarme. On s’inquiète des prélèvements massifs de bois voulus par l’État, qui peuvent être dommageables pour l’avenir de la forêt, et nous empêcher de remplir nos missions de lien social et de préservation de l’environnement ». Il ajoute que : « La direction, par des menaces sur les primes, fait pression sur les agents pour contrer les actions. Du coup, c’est difficile d’avoir un mouvement d’ampleur national dans la durée. Nous sommes plus sur des actions individuelles. » Mais il n’est pas dupe Philippe,  « À terme, ces opérations de martelage seront informatisées, ce qui facilitera la comparaison du taux de martelage entre les agents … »

Pascal Viné, directeur général de l'Office l'affirme : « le contrat consolide l'ONF et réaffirme la gestion durable des forêts ». « De la poudre aux yeux ! » s'indigne Philippe Berger qui commente le nouveau contrat : « Nous sommes d'accord sur les aspects environnementaux, les missions de police de l'environnement et de surveillance, mais nous n'aurons de toute façon pas assez de moyens pour les assurer. »



M. Hervé Gaymard
Pascal Viné, avait très clairement évoqué ce  « malaise social » le 17 mai 2011 devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale : « Au cours des dernières années, un plan (social) avait été établi, et je ne peux pas laisser dire que rien n’avait été fait en matière de risques psycho-sociaux, mais tout plan de ce type est difficile à appliquer et crée beaucoup de frustrations ». Le même jour, devant la même Assemblée, Hervé Gaymard, en qualité de président du CA de  l’ONF, a rappelé aux députés que, le 15 octobre 2010 il avait remis au Président de la République un rapport sur l’ONF et sa gestion (lien vers rapport complet).

Et que contient ce rapport ? Un plaidoyer en 12 points (voir en bas de l’article) pour une autonomie de gestion de l’ONF (synthèse ici). Mieux, il propose non pas sa privatisation mais sa transformation en entreprise publique, avec une capitalisation à hauteur de 300 millions d’euros. Car l’État ne l’a pas doté d’un capital social suffisant pour mener à bien ses missions. Merci Monsieur Gaymard !

Mais comme le rappel la FNE dans sa critique du dit rapport : « Ce rapport annonce donc des voies de progrès pour le fonctionnement institutionnel et budgétaire de l’établissement, mais ne trace pas de pistes d’espoir sur l’avenir du service public que l’on peut attendre d’un établissement public. Il fait de l’ONF le bras armé de l’Etat dans sa quête de la mobilisation du bois. Malgré tout, on est en droit de se demander si ce que fait l’ONF, le marché ne l’aurait pas fait tout seul ? L’ONF est en cela une véritable « entreprise publique. »

En attendant, la transformation de l'ONF, le déficit s’aggrave et les techniciens forestiers se font de moins en moins nombreux. Si la France venait à suivre les recommandations de son Trésor, c’est les 11 000 maires des communes propriétaires de bois qui vont trinquer !

En effet, l’actuel régime forestier leur assure 85 % des rentrées financières nécessaires à la gestion des espaces forestiers communaux notamment grâce aux ventes de bois. L’État, leur a payé en 2010, 144 millions d’euros au titre du versement compensateur. Un principe de solidarité national destiné à aider les communes dans leurs travaux forestiers. Mais comme l’Etat semble vouloir réduire au maximum ses dépenses, ces petites communes devraient en faire les frais. C’est d’ailleurs tout le sens de la note du Trésor. Et Alain Lesturgez, directeur de la Fédération nationale des communes forestières ()  l’a bien compris !

Elle évoque « une réforme du système » visant à ce que « les communes versent une contribution égale au coût de la prestation ». « Les communes payent déjà beaucoup (…). Dans le Var, la forêt ne leur rapporte quasiment rien. Elles sont amenées à faire des travaux de protection contre l’érosion ou les incendies, qui s’ajoutent à ceux prévus dans le plan d’aménagement forestier, obligatoire pour toute forêt publique. L’intérêt du service public et du régime forestier, c’est la mutualisation, qui permet de développer différentes compétences au sein d’un établissement, l’ONF, adapté aux particularités des régions françaises. Nous voulons donc savoir si l’ONF va être démantelé ou non avant de signer le futur contrat de plan. » Du coup, la FNCOFOR avait indiqué qu’elle ne signerait le nouveau contrat État-ONF que si les intérêts des communes sont préservés. Elle a fini par le faire...

Bruno Le Maire, notre ministre de l’Agriculture s’est bien entendu montré rassurant. « Je tiens à vous confirmer mon engagement à maintenir le régime forestier et l’ONF, écrit il dans une lettre adressée, fallait oser,  le 1er avril à Jean-Claude Monin, président de la FNCOFOR !
Le gouvernement n’envisage aucune privatisation ni de l’ONF, ni des forêts communales ou domaniales. » (…) mais plus loin, on peut lire « la question du financement du régime forestier fera bien évidemment l’objet d’un examen particulier, destiné à identifier les conditions de son équilibre. Le maillage territorial de l’ONF et la place des communes forestières dans sa gouvernance seront discutés dans les mêmes conditions. ». Le gouvernement n’envisage aucune privatisation ni de l’ONF, ni des forêts communales ou domaniales. » 

Autant dire qu’il n’y a rien là dedans de rassurant pour les petites communes et mes amis forestiers ! Il a aussi rappelé que certaines missions de l’ONF (accueil du public, préservation de l’environnement) ne font l’objet d’aucune rémunération. Même s’il se dit opposé aux conclusions de la note du Trésor, il estime que la question du financement du régime forestier mérite d’être posée.

En attendant, L’État exige toujours que l’on extrait plus de bois des forêts françaises !  Notre gouvernement s’est fixé un objectif de 21 millions de mètres cubes supplémentaires d’ici à 2020 à surface forestière égale (+40 %). Pas vraiment compatible avec le développement durable et avec la sécheresse qui sévit depuis 2007 à Fontainebleau. Une vraie catastrophe écologique ! Avec de tels objectifs, destinés entre autres à rentabiliser l’ONF et à engranger de l’argent pour l’Etat, il faudrait raser une grosse partie de nos forêts !

Il est vraiment urgent que l’on change de politique en matière de gestion des forêts. Comment peut-on nous marteler autant de messages sur le développement durables, la préservation de la nature et de la biodiversité et organiser de tel massacre ? ! D’ailleurs, en Europe, nos amis anglais vivent eux aussi des moments difficiles avec leur administration forestière…
Beaucoup d’arbres auront été abattus avant que l’on parvienne à résoudre la crise financière et sociale de l’ONF.

Amis forestiers de terrain, résistez, nous sommes, utilisateurs des forêts, de votre côté.

Les 12 points du rapport Gaymard

  • Proposition n°1 : Regrouper l’offre de bois pour offrir de la visibilité aux industriels

  • Proposition n°2 : Participer à l’émergence d’un réseau d’entreprises performantes

  • Proposition n°3 : Réinvestir en forêt

  • Proposition n°4 : Intervenir conjointement avec la forêt privée dans les massifs sous-exploités

  • Proposition n°5 : Amplifier la contribution de l’ONF au développement du bois énergie

  • Proposition n°6 : Reconnaître l’ONF comme gestionnaire d’espaces naturels

  • Proposition n°7 : construire une gouvernance engageante pour les communes

  • Proposition n°8 : consolider le réseau de terrain de l’ONF auprès des maires, le versement compensateur (Etat) et les frais de garderie (communes)

  • Proposition n°9 : consolider l’EPIC ONF et poursuivre sa professionnalisation

  • Proposition n°10 : consolider le pilotage stratégique de l’établissement 39

  • Proposition n°11 : Rendre les projets carbone forestiers éligibles sur le marché des quotas européens

  • Proposition n°12 : Donner un caractère juridiquement contraignant aux résolutions des Conférences Ministérielles pour la Protection des Forêts en Europe

Mise à jour du 25 juillet

Noémie Rousseau, journaliste à Médiapart a écrit hier un très bon article sur le même sujet que je vous inviste à lire : ONF : ce service public qu'on abat

Extrait :




Le forestier Claude Ammerich est scandalisé par ces 20 hectares de bois qu'on a coupé pour le laisser pourrir.
Le forestier Claude Ammerich est scandalisé par ces 20 hectares de bois qu'on a coupé pour le laisser pourrir.© Noémie Rousseau 


Tout est là. L'absurdité de la gestion de l'Office national des forêts (ONF), le crève-cœur du forestier Claude Ammerich, un énorme tas de bois. Vingt hectares de la forêt de L'Isle-Adam (Val-d'Oise) ont été rasés il y a deux ans. Depuis, le bois coupé attend, en proie aux intempéries. Les troncs se sont tous fendus. Aujourd'hui, les arbres centenaires sont tout juste bon à être brûlés. Les lots ont déjà été faits. A la place de la forêt, un sol nu, un paysage défiguré. « On s'est fait insulter par la population. Les gens nous ont dit : c'est dégueulasse ce que vous faites, c'est du travail de sauvage, dusaccage », se souvient Claude Ammerich, amer. « On va replanter, mais est-ce qu'on aura l'argent ? » Il en doute. Les pousses d'arbres qui se seraient naturellement développées sont en train de mourir étouffées sous les herbes hautes que personne ne taille. Ecœurement, désolation, incompréhension. Il parcourt le terrain à l'abandon du regard, et s'étrangle : « C'est du gâchis. »
...

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