La gestion durable des forêts ? Le témoignage d'un agent technique forestier ONF.

Qui, mieux qu'un forestier, pouvait un peu nous éclairer sur ce sujet ? 

Nous avons déjà eu les éclairages en "off" de certains d'entre eux ou les commentaires passionnés de Gaëtan sur de précédents articles. Cette fois, c'est Guy ROCHON, 69 ans, qui a exercé le métier d'agent technique forestier ONF de 1968 à 2002 dans le massif des Bauges en Savoie qui nous a contacté. 

Son témoignage sur la gestion forestière de ces dernières années fait suite à des faits relatés par certains de ses anciens collègues dont certains sont encore en activité et ne peuvent pas trop s'exprimer ! Guy défend donc le métier de technicien forestier avec passion. Il défend aussi avec ferveur une certaine idée de la sylviculture et tout particulière dans son pays, au coeur du PNR des Bauges. Il nous livre donc ses impression sur le document de gestion durable des forêts publiques...


Suite à ses remarques, il reçu de nombreux témoignages de soutien d'associations diverses de protection de la forêt, mais surtout des appuis scientifiques de chercheurs de l'INRA ou Cemagref, de WWF, Pro Sylva... et même un soutien direct en public d'un ancien chef de centre de gestion de l'ONF, membre de la FRAPNA, sans parler de certains chargés de mission au PNR des Bauges qui viennent lui dire, en douce, qu'ils partagent sa position...

Mais Guy a aussi reçu le soutien, et c'est plus surprenant, de plusieurs professionnels du milieu de l'exploitation forestière privée tels des bûcherons-débardeurs et aussi de certains scieurs dont quelque uns des plus grosses scieries de Savoie. Ceux-ci partagent le constat d'une certaine surexploitation des forêts publiques dont les conséquences à court terme seront une baisse obligatoire des volumes exploités par manque de matière bois car les coupes actuelles sont trop fortes et les forêts plus assez denses avec des volumes sur pieds trop faibles.


On signale souvent sur les portails de la Tl²B, le décalage qui existe entre le discours et les actes à l'ONF. Les chargés de Communication de l'Office ont bien compris leur métier : la langue de bois ! Pour décrypter quelques documents de l'ONF, nous ferons donc plus souvent appel à nos amis forestiers. Et on commence maintenant avec les les impressions de Guy concernant le document émis par l'ONF intitulé << La Gestion durable des forêts publiques >>.

Voici ce qu'en dit le site internet de l'ONF (où l'on peut télécharger le document) :


"Produire plus de bois tout en préservant mieux la biodiversité"
Le Grenelle de l'environnement et les Assises de la forêt ont confirmé, pour la gestion durable de la forêt, les objectifs conjoints de préservation renforcée de la biodiversité forestière et de production accrue de bois, en tant qu’éco-matériau et source d’énergie renouvelable.
Synthétisés par l'intitulé de l’accord partenarial signé en septembre 2007 entre l’ONF, la fédération France nature environnement, la FNCofor et Forestiers privés de France : "Produire plus de bois tout en préservant mieux la biodiversité", ces objectifs sont au cœur des choix stratégiques de l’ONF pour la gestion des forêts domaniales.

Dans un contexte de profonds changements (climatiques, économiques et sociétales), ils débouchent sur une politique accrue de récolte de bois, accompagnée de la mise en œuvre d’une véritable politique environnementale, dans les divers domaines de la gestion forestière : aménagements, coupes, travaux…

Ce double objectif "Produire plus de bois tout en préservant mieux la biodiversité" a suscité des interrogations auxquelles l'ONF apporte ici ses réponses. 

En voici l'analyse par Guy, un ancien de l'Office !

"Ce document intéressant sur la forme, nous dit ce qui serait bon pour la forêt, pour préserver TOUTES ses fonctions et services. Comment être contre un maintien ou une amélioration de la biodiversité forestière...On ne peut qu'être pour ! Mais, ce document porte aussi à réflexion car il contient des remarques ou certitudes qui sont contredites par d'autres scientifiques ou experts en écologies forestières.

Actuellement, l'ONF fait une campagne médiatique pour expliquer que l'accroissement des volumes coupés en forêts publiques est une bonne chose pour la société et le milieu forestier... Je regrette par exemple que cet établissement dont j'ai partagé les valeurs passées, ne se défende pas plus fortement contre ces directives du << couper plus >> ! C'est une insulte faite aux anciens gestionnaires qui avaient leur expérience et leur savoir au service de la forêt en élaborant des plans de gestion conforme aux réalités de terrain, des milieux associés...et indépendants de décisions politiques. Depuis très longtemps, ils ont fait des inventaires, créé des accès routiers, planté et fait en sorte que tout fonctionne de mieux en mieux, récolté et vendre les produits...

Continuer à progresser sur tous les besoins et les attentes de la société, quoi de plus normal ! Mais leur dire du jour au lendemain que la forêt était sous-exploitée, mal gérée au plan écologique et économique ! Quelle prétention ! Voir la page 5 du document ONF.

Laissons les forestiers agir en dehors de ces pressions, ils savent faire leur métier avec passion et responsabilité. Mais la réalité est tout autre ! Il faut mettre des volumes supplémentaires sur le marché : plus 20 millions/an, chiffre rappelé par les Ministères de tutelle... et pourtant, les prétentions de l'IFN quant à la ressource forestière, sont revues à la baisse... 


"Ici l'ONF prend soin de la forêt"
Une phrase "choquante" quand on parle de coupe mais qui est une réalité !

Ces volumes supplémentaires sont en contradiction avec les anciens plans de gestion des forêts publiques. Il faut savoir aussi que les derniers aménagements forestiers tiennent compte de ces nouvelles directives politiques du << couper plus >>. Quelle crédibilité attendre de ceux-ci ?

La notion élémentaire en matière de gestion d'un massif forestier est l'inventaire pied à pied des peuplements forestiers, seule méthode qui garantisse les volumes sur pied, les accroissements donc les possibilité/volume réelles d'un massif (réf. DUCHIRON).

Pour en revenir au document de << gestion durable >> de l'ONF, il est une réalité partagée par tous : celle d'une augmentation de la surface forestière française : essentiellement la forêt privée, doublement en 150 ans (en légère régression depuis quelques années) ! Nul ne le conteste !
mais comme je l'avais déjà écrit, cette augmentation de surface s'est traduite automatiquement par une augmentation globale et progressive des volumes prélevés : Plus 43% en forêts domaniales sur les trente dernières années ( rapport de la Cour des comptes) et plus 64% entre 1966 et 2010 selon un rapport du Président de l'ONF ( Mr Gaymard). Voir la page 9 du document ONF...alors que la surface des forêts publiques n'a pas augmenté !

Il y a donc bien un ajustement automatique et progressif de la croissance et de la récolte ! C'était le rôle des plans de gestion passés... réactualisés tous les 15 ans environ !
Quant au déficit de la balance commerciale de la filière bois, il faudrait aussi dire que la forêt française est exportatrice de bois feuillus en grumes (les 3/4 des volumes forestiers français).

La forêt française n'est pas, contrairement à ce que l'on laisse croire, déficitaire sur sa production de bois car elle exporte plus que ce qu'elle importe, par contre le déficit de la balance commerciale de la filière bois est dû aux entreprises de transformation du bois pas suffisantes pour donner de la valeur ajoutée à cette matière première. Voir page 10 du doc.ONF.




Sur la sylviculture intensive préconisée par l'ONF pour améliorer les écosystèmes, améliorer les rendements et les qualités des peuplements forestiers, elle est, pour beaucoup de scientifiques de l'ex-Cemagref ou de l'INRA ou d'experts forestiers, source de dangers à moyen terme, danger pour l'économie de la filière, pour l'écologie forestière...

Certaines notions sylvicoles ONF sont contestées : la faiblesse des volumes sur pied à l'hectare, les éclaircies trop fortes qui ne favorisent pas ni la qualité, ni la résistance aux incidents climatiques, sécheresse, tempêtes, les microclimats forestiers perturbés (notions de lumière et d'humidité ambiante, d'évaporation du sol, insolation des sous étages...). Les diamètres d'exploitation revus à la baisse, de même les temps de passage entre deux coupes (rotation) raccourcis eux-aussi ! (notions critiquées par les chercheurs écologues) 

Des recherches de l'INRA CARBOFOR publié en 2010(Lousteau) confirment que les cycles longs permettent un meilleur stockage du carbone que les cycles courts. La thèse de Vallet (2005) confirme également l'intérêt des peuplements plus âgés pour le stockage du carbone.

Savez-vous que les forêts françaises ont le plus faible volume de bois sur pied à l'hectare des forêts Européennes ?
France 160 à 170 M3/ha (source IFN), Suisse 330 M3/ha, Allemagne et Slovénie 280 M3/ha, Luxembourg 250M3/ha, Belgique 210 M3/ha, Autriche 350 M3/ha...
Alors ? faut-il continuer à sous capitaliser ?. voir page 6 du doc. ONF.

La qualité technique du bois est liée à la densité des peuplements forestiers :
Forte densité = accroissements plus fins et réguliers, moins de décroissance, meilleur élancement, moins de branches...
Faible densité = arbres plus courts, plus coniques et plus branchus...
Depuis toujours, le forestier sait toute l'importance du milieu, l'ambiance forestière qui est le résultat d'un jeu subtil entre l'ombre et la lumière et de la lutte des espèces pour atteindre cette fameuse lumière le plus rapidement possible, pour tout simplement survivre... Une certaine densité favorise les relations complexes du système racinaire avec les champignons mycorhiziens... les peuplements espacés nuisent à cette relation de vie.




Depuis toujours, le forestier par son travail de sylviculture, permettait à la forêt, de s'améliorer génétiquement par la priorité donnée aux plus beaux spécimens... c'était un choix individuel de l'arbre, une sylviculture pied par pied, méticuleuse et combien valorisante ! Il savait doser les espèces d'ombre et de lumière... son coup de marteau était le résultat de tout un savoir, de toute une sensibilité mise au service de la forêt et non de directives commerciales !

Tout le contraire d'une gestion forestière collectiviste qui ne peut qu'être productiviste, quantitative et dangereuse pour le fonctionnement global de ces écosystèmes.

<< L'objectif d'augmentation de la récolte conduit dans certaines régions à prélever au-delà de l'accroissement naturel. Or, le fait que l'accroissement naturel ne soit pas entièrement récolté permet aux formations forestières jeunes de mûrir, de restaurer la biodiversité menacée qui est dépendante des forêts vieillies, d'augmenter la résilience de l'écosystème, de stocker du carbone et d’accroître le capital sur pied avec des produits de qualité... >>

Pascal Viné photo : (C) Midinews
Pascal VINE, directeur général de l'ONF a dit : << depuis 20 ans, il est prélevé TOUTE la production biologique... >>.
D'après Barthod (2005), certains forestiers américains s'étonnent de notre obsession sur l'écart entre récolte et accroissement biologique, leurs expériences ont montré toute la valeur de celui-ci comme un << tampon indispensable à tout système biologique en situation de durabilité >>.

En clair, lorsque l' IFN ( Inventaire Forestier national) donne comme valeur de production biologique de la forêt française, 80 millions de M3, on ne doit pas prélever cette valeur, mais rester bien en-dessous pour tenir compte des mortalités naturelles ou aléas climatiques, toutes les espèces inventoriées ne donnent pas des produits commerciaux... 

Pascal VINE, directeur de l'ONF a donné comme chiffre de récolte possible, 70% de la production biologique. Je partage cette appréciation.
Arrêtons aussi de 'jouer et concevoir' des normes sylvicoles dont le seul objectif est de récolter davantage !

Voilà donc une autre réflexion, ce ne sera pas la dernière et c'est bien de réfléchir ainsi ! 

Guy ROCHON (ex agent ONF)

Ajoutons qu'à la TL²B nous continuerons de soutenir les forestiers de terrain et à diffuser leurs propos. Relisez nos articles de la rubrique "ONF et Sylviculture" ou visitez notre boîte à outils pour avoir une autre vision de ce que peut être la sylviculture raisonnée...

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2 commentaires :

  1. Anecdote en rapport avec la photo des troncs en bord de route. Il y a presque 20 ans je fais une sortie éducation nationale destinée aux professeurs de SVT que je suis, accompagné par un forestier. La visite, très intéressante au demeurant, débute dans une forêt à gestion raisonnée. Mais pour arriver la, nous longeons en voiture une belle coupe à blanc légèrement masquée par un liseré d'arbre en bord de route. Une collègue ne manque pas de soulever la question sur l'intérêt de ce liseré. Réponse :" c'est pour que les gens ne soient pas choqués par une coupe à blanc" !!! "de toute façon d'ici quelques années, ce type de sylviculture aura disparu)" !!!
    L'article est très intéressant et je vous en soumet un autre concernant les forêts méditerranéennes notamment dans le 13. Quelques réflexions. La zone rouge dure maintenant 4 mois et elle n'a jamais empêché les feux (Orgon). Le nettoyage sur 20 m de large le long de toutes les pistes avec des broyeurs est très impressionnant, même les pierres sont broyées (écologique)! C'est pour la sécurité des pompiers. Dans ces forêts il n' y a généralement plus que des pins qui tombent au premier coup de vent, avec 20 cm de neige (Alpilles), brûlent comme des allumettes... et les amoureux de la nature risquent des amendes pour protéger leur sécurité!

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  2. Bonjour, je suis le fameux Gaëtan, amicalement cité par Greg en début d'article.
    Je vais, si vous le permettez, essayé d'apporter quelques éclairage sur la seconde partie de votre commentaire concernant la mise en défens de zone sensible aux incendies.
    Pour remettre un peu dans le contexte, la gestion en forêt méditerranéenne est une spécificité de la gestion forestière, un peu comme la gestion des forêt en zone de montagne. Elle répond avant tout au maintient et à la survie d'un espace, plus qu'à une valorisation économique du produit bois.
    Le problème est que cet objectif poursuivi par le forestier se heurte dans ce secteur de l'arc méditerrannéen, à une urbanisation galopante des arrière-pays des grandes agglomération côtière (qui n'a jamais rêver de posséder sa villa dans l'arrière pays niçois ou dans le Haut-Var ...). Il en résulte un surpeuplement de zone forestière, parfois réaliser de façon sauvage ... (pour rappel le premier département forestier est le Var !!!). Problème : cet urbanisme limite les zones d'expansion des incendies, qui mettent très rapidement des zones urbaines et des infrastructures en danger, chose qui ne se produisait pas autrefois. Il est ainsi indispensable de mette en place des pistes, des obligations de débroussaillement, afin de limiter les risques et de faciliter la lutte en cas d'incendie. Quand au fait qu'il n'y est que des pins, la pinède méditerranéenne est le peuplement forestier naturelle sur ce secteur sur les sols siliceux (maquis), les sols calcaires (garrigues) étant le domaine des chênes verts et liège ... Contrairement à ce que l'on croit l'incendie, si on le ramène à ses origines (coup de foudre) est un moyen de renouvellement de l'espace végétal et notamment forestier. Le lit de cendre et la forte monté en température est un moyen très efficace de faire germer les graines ! De la même manière, l'écorce du chêne liège est un "bouclier" anti-feu, le feu passe, l'écorce brûle mais pas l'arbre. La nature est vachement bien faite.

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