Il semble que nous ayons enterré un peu vite le débat sur l'exploitation des gaz et huiles de schiste devant la levée de boucliers car le formidable potentiel de la France ne laisse pas indifférent les pétroliers et les représentants de l'Etat. Béatrice Héraud pour Novethic a publié un article dont voici quelques extraits et qui n'est pas fait pour nous rassurer...
« Il serait dommageable, pour l’économie nationale et pour l’emploi, que notre pays aille jusqu’à s’interdire (…) de disposer d’une évaluation approfondie de la richesse potentielle : accepter de rester dans l’ignorance d’un éventuel potentiel ne serait cohérent ni avec les objectifs de la loi POPE, ni avec le principe de précaution. Mais, pour ce faire, il est indispensable de réaliser des travaux de recherche et des tests d’exploration. » Voilà la conclusion du rapport d’étape de la mission conjointe du Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGIET) et du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) sur « Les hydrocarbures de roche-mère en France », plus connus sous l’appellation gaz et huiles de schiste, publié le 22 avril.
Un rapport dont le gouvernement « a pris acte », tout en rappelant que « le Premier ministre a déjà entériné certaines de ses recommandations en annonçant le soutien du gouvernement aux propositions de loi déposées par les Parlementaires » et « demandé à la mission CGIET-CGEDD de prolonger ses travaux afin que la recherche scientifique sur les possibilités d’exploiter demain ces gisements potentiels soit conduite jusqu’à son terme », a indiqué le ministère de l’Ecologie dans un communiqué, tandis que Nathalie Kosciusko-Morizet, déclarait à l’AFP : « il y a besoin de beaucoup de travaux complémentaires avant de conclure dans un sens ou dans l'autre ». Certes, mais le rapport pousse clairement à l’expérimentation.
Un fort potentiel à explorer selon le rapport
Selon les auteurs en effet, la France dispose d’un fort potentiel : « avec la Pologne, la France apparaît être, selon l’étude de l’EIA, le pays d’Europe le plus richement doté de ressources en gaz de roche-mère », avec environ 5 T m3 de gaz techniquement récupérables (soit 90 ans de notre consommation actuelle). Un potentiel attesté par les investissements que les opérateurs se proposent de consentir (près de 80 millions d’euros d’engagement sur les 3 permis), même si « tous les gisements techniquement récupérables ne sont pas effectivement exploitables », écrivent-ils. Difficile donc, estiment-ils, de renoncer à une telle opportunité. D’autant que selon eux, il existe de grosses différences entre l’exploitation telle qu’elle est pratiquée aux Etats-Unis et les conditions qui seraient mises en place en France, insistent-ils dans leur rapport.
Pour autant, difficile aussi pour les auteurs -qui reconnaissent le manque de transparence lors des procédures d’attribution des permis- de passer outre la vive contestation de l’exploration, qu’ils semblent surtout attribuer à un « déficit d’information ». L’expérimentation doit donc se faire sous un « encadrement strict », précisent-ils : notamment sous la houlette d’un comité scientifique national composé d’experts de l’IFP Energies Nouvelles, de l’INERIS, du BRGM (Bureau des Recherches Géologiques et Minières) et d’universitaires qui seront « garants de la qualité et de la transparence des études », de « l’emploi des meilleures techniques » et qui donneront « leur avis sur l’implantation des forages ». Des comités locaux d’information, composés d’élus et de représentants d’associations de protection de la nature, devraient également être mis en place dans chaque département. (...)
Vive déception chez les opposants
Du côté des industriels, l'Amicale des foreurs et des métiers du pétrole note avec satisfaction que « ce rapport reprend nombre d’arguments que nous avons mis en avant dans nos différents communiqués, lettres ouvertes ou courriers avec des internautes». Très vite, Toréador a également fait savoir qu’il se « félicitait de la préconisation du rapport d’autoriser une exploration non conventionnelle régulée et supervisée ». (...)
Sur la question de l’encadrement de l’exploitation par exemple, le « rapport est plutôt en ligne avec ce que l’on dit depuis le début. A savoir qu’il est possible de faire de la fracturation avec un nombre limité de produits, dont la teneur est connue et qui seraient contrôlés par des laboratoires indépendants. »
Le groupe Total aurait d’ailleurs déjà demandé informellement aux quatre compagnies susceptibles de travailler avec lui pour la fracturation hydraulique (Schlumberger, Halliburton, Weatherford International et Baker Hughes) s’il était possible d’inclure dans les appels d’offre la publication de tous les produits utilisés et leur non toxicité. Deux d’entre elles auraient déjà répondu par l’affirmative. Un point essentiel car comme le souligne le rapport, les détails des techniques de fracturation sont mal connus, de façon « surprenante », par les opérateurs pétroliers qui font appel aux services de ces sous-traitants…
(...) La mission a clairement été confisquée par le Conseil général de l’industrie, qui tenait la plume quand celui de l’environnement n’agissait qu’en simple spectateur », souligne Maryse Arditi, la pilote du Réseau énergie de l’association FNE, qui cite en exemple le chapitre sur les impacts sociaux et environnementaux « particulièrement léger ». Selon elle, la préconisation d’une recherche plus poussée sur les techniques de cette ressource nuit à celle sur les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. Même constat du côté du collectif contre les gaz de schiste de la Drôme, qui avait réuni le week-end dernier près de 4 000 manifestants à Donzère. « Globalement, le rapport est construit comme un argumentaire en faveur des exploitants des gaz de schistes qui ont repris du poil de la bête ces dernières semaines », juge Corinne Morel Darleux, membre du collectif, conseillère régionale et secrétaire nationale du parti de Gauche en charge des questions écologiques. « Le seul point sur lequel le rapport insiste au niveau de l’environnement, c’est l’utilisation de produits chimiques plus propres. Mais qu’en est-il de l’utilisation de l’eau, qui n’est quand même pas très abondante dans les régions concernées, des risques de pollution des nappes phréatiques, de radioactivité, des allers et retours de camions, etc ? » (...)
Si le rapport ne présage pas encore de la décision gouvernementale qui doit encore examiner début mai les propositions de lois parlementaires portant sur l’interdiction de l'exploration et de l’exploitation par fracturation hydraulique ainsi que l’abrogation des permis, une chose est certaine : il va relancer la vigilance et la mobilisation des opposants. Plusieurs manifestations sont prévues tout au long du mois de mai.
Béatrice Héraud
Mis en ligne le : 27/04/2011
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Article intégral consultable ici :
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