Le mal des forêts

Il y a quelques jours, je reparlais de la réforme de l’ONF et du malaise des forestiers en évoquant la présentation aux Maires du contrat Etat-ONF pour 2012-2016.
J’ai pour habitude de dénoncer  les coupes rases pratiquées à Fontainebleau et en Ile-de-France qui devraient être des forêts d’accueil du publique et non des forêts de production. Avec le temps, j’ai noué pas mal de contact avec des bénévoles associatifs qui pensent comme moi mais aussi, et cela peut paraître étrange, avec des forestiers.

J’aime les forestiers et comme je le disais à l’un d’entre eux il y a peu, c’est un métier que je souhaitais faire quand j’étais plus jeune pour le côté nature, ballade solitaire dans les bois…
Si les  conditions étaient réunies voudrais-je encore faire ce métier ? Pas certain. Pourquoi ? Probablement par ce que depuis que je fréquente des forestiers, je ne peux que m’apercevoir du malaise qui plane autour de leur métier.
Comme le disait l’un d’entre eux à un journaliste de Libération : « La charge de travail s’alourdit, le vocabulaire mute  : depuis 2002, le garde forestier est devenu un « agent patrimonial ». Un terme qui sent le col blanc et dans lequel Gilles Quentin, 61 ans, « fils de forestier » entré à l’ONF en 1975, ne se reconnaît pas. Pull vert sapin, cheveux et barbe longs, il souffre d’être happé par des tâches administratives plutôt qu’au travail dans « sa » forêt de Vierzon (Cher). « On ne choisit pas ce métier par hasard. On veut être en forêt, on aime y être seul. Mais aujourd’hui, s’il y a une invasion de chenilles ou de champignons au fond de la parcelle, on passera à côté parce qu’on n’a plus le temps d’y aller ! Et on abandonne des missions pourtant prévues par le code forestier, comme le travail de police, l’accueil du public. »
Car c’est bien là le problème. Les forestiers n’en sont plus !
Ce sont des agents a qui l’on demande toujours et encore plus de travail administratif.

Ceux des groupes techniques de Fontainebleau ont ainsi vu partir dans le sud de la France les véhicules de lutte contre l’incendie (les CCF) repeints en jaune, puis, ils ont abandonnés leur mission de surveillance dans les pylônes incendie, puis, leur véhicule utilitaire s’est transformé en  2 places commerciales… Vous avez peut être rencontré des agents à cheval sur les parking des Trois Pignons. Leur présence n’est du qu’à la volonté d’un petit groupe qui se bat pour conserver le budget nécessaire à l’entretien des chevaux à l’année… Pourtant, quand on voit ce que cela rapporte en terme d’image et d’accessibilité auprès du publique ainsi qu’en gain d’efficacité, on se demande pourquoi il n’y en a pas d’avantage à Bleau. Peut être par ce que la fonction des agents n’est plus l’accueil et la surveillance mais bien la production !
Si quelques uns de mes amis forestiers bellifontains acceptaient de parler sur ce blog de leur galère je relayerai avec plaisir. Mais aujourd’hui, ce qu’ils me disent du bout des lèvres est sous couvert d’anonymat et de non diffusion… Je respecte et me tourne donc vers ceux qui s’exprime librement à travers la presse.

Voici ce que disait Philippe Berger, 47 ans, forestier protégé par son mandat syndical à Libération à propos de ces changements sur le cœur de leur métier et sur l’abandon de la qualité pour le profit !
 « Un sol tassé comme cela, c’est désolant, il faudra plus de trente ans pour qu’il se refasse, en montrant des traces laissées par les tracteurs de débardage ! Et tous ces chênes frottés, écorcés, ils risquent de prendre une maladie. Les débardeurs ont sorti les grumes au plus vite. Si j’avais été là, j’aurais pu l’empêcher, mais on passe de moins en moins de temps en forêt ». Le sentiment de ne plus pouvoir bien faire son travail, d’avoir perdu le sens d’un métier qui consiste à « transmettre une forêt en bonne santé », c’est, dit-il, l’une des « racines du mal-être ».

Gilles Quentin, un autre ONF, le dit lui aussi et avec plus de force : « La seule chose qu’on nous demande en fin d’année, c’est le cubage sorti de la forêt ! Les besoins d’argent sont tels qu’on nous fixe des objectifs de prélèvement incompatibles avec les capacités de la forêt. On prélève à l’excès, parfois le double de ce qui était prévu dans le plan d’aménagement. Et on nous incite à proposer aux communes plus de travaux, plus d’exploitation, juste pour faire de l’argent. C’est une gestion à court terme alors que le forestier cultive la forêt pour le très long terme : cent vingt ans pour les résineux, deux cents ans pour les chênes. »


Enfin, pour parler du métier de forestier, il faut comprendre le discours technique de la maison ONF en phase avec les réformes.  Demandez à un forestier en quoi consiste la « démarche qualité ». Moi je m’attendais a justement quelque chose de très terrain, avec un contrôle du travail fait dans les coupes… Mais la réponse de Gilles démontre encore une fois le malaise : « une usine à gaz qui nous prend un temps colossal. Les tâches ont été répertoriées, standardisées et, maintenant, il faut décrire tout ce qu’on fait, puis le transmettre à des gens qui vont faire de beaux tableaux Excel » (…)« Or, la réforme a saucissonné le travail, spécialisé les gardes forestiers. L’Office a été scindé en services aux intérêts contradictoires, entre protection de la forêt et commercialisation des bois. Du coup, on se croise sur les parcelles, mais on ne se parle plus. »

Et quand un forestier en a gros sur la patate, il vous montre ces parcelles déboisées selon les volontés de leur administration de tutelle, ces tas de bois qui peuvent pourrir des années avant d’être enlevés par l’exploitant. Ainsi Gilles a montré au journaliste de Libération une trouée de 500 hectares, un cimetière de grumes blancs, épars entre les hautes fougères et la sableuse terre de Sologne. « Tous les arbres de qualité ont été prélevés en priorité, puis ceux de qualité moindre. Ne restent que les grumes des arbres mal conformés, qui n’ont pas de valeur, sinon comme bois de chauffage. Alors qu’on doit faire exactement l’inverse pour assurer la régénération !... Enlever d’abord le sous-étage, les petits arbres (hêtre, charme, châtaignier), puis pratiquer une coupe d’ensemencement : on conserve les plus beaux arbres, bien répartis, pour avoir de meilleures semences, on enlève les arbres mal conformés. Là, on a privilégié le profit rapide sans se soucier du futur ! Ces fougères et ces graminées forment un tel feutrage au sol qu’on ne pourra plus ni ressemer ni replanter en chênes !  Ici, ce sera des pins maritimes. Le problème avec cette monoculture, c’est qu’on augmente le risque d’incendie. Et, si une maladie se développe, il faudra tout couper ! »

A Vesoul, Philippe Berger est lui aussi très remonté contre la sylviculture imposée par sa direction : « On a l’impression que désormais c’est à la forêt de s’adapter à l’industrie ! Les scieries exigent des diamètres de 40/45 cm pour leurs machines et refusent les gros arbres. Alors on coupe les arbres trop tôt, avant qu’ils aient atteint leur terme physiologique ! ».
25 novembre 2011 Midinews
Manifestation de forestiers en colère
Bref, nos amis forestiers de terrain sont de plus en plus conscients que le métier qu’ils ont choisit et qui correspondait à certaines convictions n’est plus le leur. Dans le privée, on a l’habitude d’évoquer dans les phases de projet la résistance aux changements de l’être humain. On l’évalue, on écoute, on accompagne pour que la transition se fasse en douceur.

L’ONF et son ministère de tutelle n’ont pas su le faire bien que dès 2005, à la suite une enquête Ipsos sur le climat social, ils étaient informés qu’inquiétude, stress, malaise et tendance au repli sur soi étaient les nouvelles valeurs des hommes et des femmes du terrain. Depuis mon article un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse, écrit en juillet dernier, les choses n’ont hélas pas favorablement évolué.
Cet été, il y a eu quatre suicides en quelques semaines, en Lozère, Gironde, Haute-Saône et dans l’Allier. En automne, la série noire a repris : le 3 octobre, en Côte-d’Or, un agent forestier de 55 ans, en congé longue maladie depuis un an et demi, s’est donné la mort à son domicile. Le 12, dans le Morbihan, c’est un ouvrier forestier qui s’est tué. Son suicide est le vingt-sixième depuis 2005...
Du côté administratif, celui du forestier jurassien qui s’était tué avec son arme de service en 2009 est toujours le seul sucide officiellement imputé aux conditions de travail !
Pascal Viné
Source Midinews 25/11/2011
Si Pascal Viné, le directeur général de l’ONF a, dès son arrivée en novembre 2010, reconnu l’existence de ce mal-être ne ménage pas ses efforts, ils restent visiblement très insuffisants pour rassurer ses hommes. Malgré les très fortes coupes dans l’effectif des forestiers*, le nombre d’assistantes sociales a été doublé pour passer à vingt. L’ONF a aussi mis en place un numéro vert, confidentiel et accessible en permanence. Mais les « quatre des agents qui se sont suicidés récemment étaient déjà suivis par les services sociaux » confiait Pascal Viné. Conscient du problème il souhaite au plus vite « alléger les procédures »  et « faire évoluer le management pour que les problèmes de terrain remontent jusqu’à la direction ».
Un DG de l’ONF qui n’hésite pas à rencontrer ces agents en colère et à dialoguer avec eux. Ainsi, le 25 novembre, Pascal Viné en visite en Ariège, a fait face au comité d’accueil qui l’attendait en pleine forêt sur un petit chemin forestier. Anne-Sophie Terral a publié plusieurs enquêtes remarquables dans Ariègenews sur ce sujet.
Rencontre sur le terrain pour Pascal Viné
Source Ariegenews 25/11/2011

Je vous invite donc à poursuivre cet article en regardant les vidéos de chacun des liens ci-dessous. Elles sont remarquables et complètent celle qui figure en permanence au bas de ce blog.

http://www.ariegenews.com/ariege/debats_opinions/2011/40808/onf-le-directeur-general-face-a-la-colere-des-agents-de-terrain-a-mass.html
http://www.ariegenews.com/ariege/actualites/2011/36280/onf-autopsie-d-un-malaise.html
http://www.ariegenews.com/ariege/actualites/2009/10922/martelage-dans-la-foret-domaniale-du-consulat-de-foix-avec-les-agents-.html

*En 1986, il employait 15 000 personnes ; en 2002, 12 000 ; aujourd’hui, 9 500. Et les effectifs n’ont pas fini de fondre : 700 postes seront supprimés dans les cinq ans à venir, au nom du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux.
 

Nouveau contrat Etat-ONF-FNCofor 2012-2016

Le contrat 2012-2016 signé entre l’Etat, la FNCofor et l’ONF a été présenté durant les trois jours du salon des maires sur le stand commun ONF-FNCofor.
Il traduit la volonté collective de conforter la gestion des forêts publiques par un gestionnaire unique, capable de défendre l’intérêt général, d’allier les analyses et visions de court et long termes, d’articuler les enjeux internationaux, européens, nationaux et locaux, de prendre part au développement de la filière bois, tout en améliorant la performance de sa gestion.
Avec le soutien de l’Etat et des communes forestières, l’ONF a la volonté de relever ces défis, au bénéfice d’une gestion durable et multifonctionnelle des forêts publiques françaises.
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4 commentaires :

  1. Merci pour la publication de ces articles.
    Je suis "garde" forestier et secrétaire national du SNUPFEN.
    Ça fait vraiment du bien de voir qu'il y a des gens que çà intéresse l'avenir de la forêt, et la souffrance des forestiers qui assistent à la destruction de tout ce qui fait leur vie.
    Merci encore

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  2. Je pensais que cette gangrène administrative que vous décrivez si bien ne touchait que l’Éducation Nationale...
    Je partage le désarroi de ces personnes, "les gens du terrain"...
    Merci pour votre travail.

    Un amoureux des forets.

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  3. Bonjour Adrien,
    Bonjour ami de l'education nationale,
    Merci pour vos commentaires.
    Comme vous j'aime ces forêts que l'Etat dans sa volonté de réduire son déficite et de promouvoir les énergies renouvelables comme le bois souhaite d'avantage exploitées. Je ne suis pas contre un effort supplémentaire dans les forêts de production mais je souhaite que les domaniales franciliennes et les communales soient d'avantage préservées et surveillées. Ces forêts de récréation ont une importance considérable dans la lutte contre la pollution, l'érosion et la préservation de la biodiversité en plus de leur rôle social. Pour cela, il faut accorder plus de moyens à l'ONF, cesser de sous traiter... Vous avez donc raison de faire le parallèle avec l'education !

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  4. Recherche du Profit à court terme, casse des services publiques, indicateurs de performances et RGPP (révision générale des politiques publiques) malheureusement nos amis forestiers sont touchés eux aussi. Tout ceci résulte bien d'une volonté politique annoncée par Denis KESSLER dans une interview donnée au journal CHALLENGE du 4 octobre 2007, dont on perçois aujourd'hui les conséquences dans tous les secteurs du service publique: « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. [...] Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie.

    Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme…
    A y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux.
    La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance !
    [Lequel] est à l’évidence complètement dépassé, inefficace, daté. [...] »
    Surtout ne pas se résigner. Comme l'a si bien écrit un certain :"Indignez vous!" La forêt est notre patrimoine commun, protégeons la. Exigeons des pouvoirs publiques de prendre leur responsabilité pour préserver et surveiller nos forêts domaniales et communales, ici et ailleurs.
    Ami(e)s forestiers, merci pour votre engagement.
    Toto de l'I

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