Evolution du paysage de la forĂȘt de Fontainebleau (histoire)

" Les forĂȘt prĂ©cĂšdent les peuples,
les déserts les suivent."
Chateaubriand

Un peu d'histoire pour bien comprendre l'Ă©volution de la ForĂȘt de Fontainebleau


Nous n'allons pas faire ici le rĂ©cit de la longue opposition des artistes Romantiques aux forestiers au XIXĂš. Leur combat a dĂ©bouchĂ© en 1861 sur  la crĂ©ation de la "21Ăšme sĂ©rie" ou "sĂ©rie artistique" qui excluait des coupes une partie de la forĂȘt. Cette sĂ©rie est par la suite devenue une rĂ©serve biologique (RB), premiĂšre du genre dans notre pays. Nous allons le voir, la gestion de notre forĂȘt par l'Administration ForestiĂšre est toujours au cƓur des dĂ©bats.

A la suite des Eaux et ForĂȘts, la gestion des forĂȘts publiques a Ă©tĂ© confiĂ©e Ă  l'Office National des ForĂȘts (crĂ©Ă© en 1966) qui dĂ©pend du MinistĂšre de l'agriculture

Avant cela, l'administration forestiĂšre dĂ©pendait du MinistĂšre des Finances, preuve que son intĂ©rĂȘt Ă©tait avant tout financier... 

Ainsi, la forĂȘt "impĂ©riale" de NapolĂ©on III (1853) devient "domaniale" en 1870 sous la seconde RĂ©publique. Ce nouveau statut fait de la forĂȘt un domaine privĂ© de l'Etat, c'est Ă  dire dont il peut disposer comme bon lui semble ! Tous les 30 ans en moyenne, l'ONF rĂ©dige un plan d'amĂ©nagement qui prĂ©voie et fixe les rĂšgles de gestion sylvicole du domaine. Ce document est la suite des actes de RĂ©formation royaux.

Le cas de la forĂȘt de Fontainebleau est typique d'une forĂȘt ayant pour principale vocation l'accueil du public et dite « rĂ©crĂ©ative ». Autrement dit, le budget allouĂ© pour la forĂȘt de Fontainebleau prĂ©voie que les dĂ©penses pour son entretien seront nettement supĂ©rieures aux recettes gĂ©nĂ©rĂ©es par son exploitation.

Toutefois, dans une logique de rĂ©duction des dĂ©ficits publics, les crĂ©dits allouĂ©s sont trĂšs infĂ©rieurs Ă  ce qu'ils devraient ĂȘtre pour le premier monument vĂ©gĂ©tal de France et d'Europe en nombre de visiteurs. Cette logique a prĂ©dominĂ© dans de nombreux choix de l'administration forestiĂšre notamment dans la gestion des forĂȘts de Fontainebleau, des Trois Pignons et du golfe de Larchant, ce qui n'a pas manquĂ© d'engendrer bien des polĂ©miques. La premiĂšre cible des critiques est donc tout naturellement l'ONF et sa gestion ou plus indirectement l'Etat.

Notons tout d'abord que les forestiers de terrains sont des hommes passionnĂ©s par leur mĂ©tier et leur forĂȘt. Pris directement pour cible, ils n'hĂ©sitent plus Ă  contester les choix de leur hiĂ©rarchie en matiĂšre de rĂ©duction d'effectifs et de moyens allant jusqu'Ă  des grĂšves assez dures. Nous ne blĂąmons aucun d'eux car nous savons qu'ils font souvent le maximum avec les moyens du bord. Nous tenons mĂȘme Ă  les remercier pour leur disponibilitĂ© et leur aide au cours de ces annĂ©es de bĂ©nĂ©volat ! 
 
Certains comme les bĂ»cherons ont un mĂ©tier difficile et travaillent toujours dans des conditions assez dures malgrĂ© la mĂ©canisation de l'industrie du bois. On ne peut donc les blĂąmer de dĂ©fendre avec cƓur leur ouvrage. On ne reprochera pas non plus aux usagers amoureux de leur forĂȘt de manquer parfois de recul et de rĂ©agir sous le coup de l'Ă©motion. Toutefois, mĂȘme si l'amour rend aveugle, il ne peut justifier certaines erreurs.




Carte de l'IFN qui permet de mesurer l'Ă©volution de chaque parcelle.



Dans notre jugement du travail de l'ONF, tentons de toujours garder Ă  l'esprit que les forĂȘts s'apprĂ©cient sur des siĂšcles, et que les hommes ne peuvent pas lutter contre certaines Ă©volutions ou catastrophes naturelles. Nous ne sommes pas des spĂ©cialistes en sylviculture et nous vous livrerons donc des informations telles qu'elles ont Ă©tĂ© Ă©crites par les dits spĂ©cialistes. Ne pas oublier Ă©galement que la forĂȘt Ă©volue sous l'action du climat et de ses alĂ©as climatiques.

Au premier rang des reproches faits au gestionnaire, nous trouvons bien entendu ses méthodes de sylviculture.
Le décret instituant la création de la premiÚre réserve comportait déjà une porte de sortie pour le futur ONF mais surtout il contenait les germes des contestations futures puisque les forestiers pouvaient, dans une certaine mesure, y faire des coupes. Notons aussi que la vocation de l'ancienne 21Úme série fut précisée comme suit : "Mais cependant, l'Administration ForestiÚre doit veiller aux mesures de sécurité qui lui incombent. Elle aura le devoir d'abattre des arbres devenus un danger pour les promeneurs".

A Bleau sont nés l'écologie, l'éco-terrorisme et les premiÚres association de défense !

C'est en effet dans cette forĂȘt qu'ils voulaient dĂ©fendre Ă  tous prix contre l'administration forestiĂšre que les peintres inventĂšrent l'Ă©co-terrorisme ! En effet, ils ne devaient pas rentrer Ă  l'auberge sans avoir arrachĂ© ou saccagĂ© les jeunes plantations de pins qu'ils jugeaient indignes de nos futaies. Si leur motivation Ă©tait plus esthĂ©tique qu'Ă©cologique, la crĂ©ation de la cĂ©lĂšbre 21Ăšme sĂ©rie fut considĂ©rĂ©e comme la premiĂšre mesure de sauvegarde de l'environnement ce qui permit Ă  la ville de Fontainebleau d'accueillir en 1948 le sommet qui Ă a donnĂ© naissance Ă  l'UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) ! Enfin, cette dĂ©fense des forĂȘts et de leurs usagers nĂ©cessitant une forte mobilisation du public, c'est ici que naquit les premiĂšres associations.

En effet, en 1874, Jean François Millet prĂ©side Ă  la crĂ©ation du ComitĂ© de dĂ©fense de la forĂȘt. Ce comitĂ© est donc l'ancĂȘtre de toutes les associations de sauvegarde comme la SociĂ©tĂ© des Amis de la ForĂȘt de Fontainebleau (1907) ou le Cosiroc crĂ©Ă© en 1962. Le 23 juillet 1945, la SAFF obtient du Ministre de l'Agriculture la crĂ©ation de la Commission consultative des RĂ©serves Artistiques et Biologiques de Fontainebleau.

Les Ă©tudes scientifiques menĂ©es dans ces rĂ©serves permettent le maintien en 1953, des 1 070 ha de sĂ©rie artistique, la constitution de 552 ha de nouvelles rĂ©serves et la crĂ©ation de la premiĂšre rĂ©serve biologique intĂ©grale (RBI) sur 141 ha. Les anciennes parcelles constituant la sĂ©rie artistique sont dĂ©classĂ©es en 1967 Ă  l'exception des plus belles qui avaient Ă©tĂ© transformĂ©es en RBI en 53. De nouveaux arrĂȘtĂ©s ministĂ©riels sont pris le 7 aoĂ»t 1967 puis le 11 janvier 1972 instituant 415 ha de rĂ©serves dont 136 ha classĂ©es en RBI. A cette date, il est clairement Ă©tabli que l'objectif prioritaire de notre forĂȘt devient l'accueil du public, ce qui signifie que sa gestion en vue de produire du bois de coupe devient plus limitĂ©e.

Parmi les multiples documents qui nous ont Ă©tĂ© utiles dans cette enquĂȘte, ceux recueillis et publiĂ©s par EugĂšne Plouchart tiennent une place considĂ©rable. Cet homme a eut la chance de pouvoir consulter les archives personnelles de l'inspecteur Reuss. Mieux, le forestier l'a aidĂ© Ă  dĂ©coder ses archives.


EugĂšne Reuss a officiĂ© Ă  Fontainebleau de 1898 Ă  1912 puis, par intĂ©rim durant la guerre de 1914 Ă  1919. Il est, avec Achille Marrier de Boisd'hyver, l'Inspecteur qui a exercĂ© le plus longtemps Ă  Fontainebleau oĂč il a pu mettre en pratique les principes de sylviculture qu'il enseignait Ă  l'Ecole de Nancy. Pour mieux apprĂ©hender la complexitĂ© de cette forĂȘt, Plouchart n'a pas hĂ©sitĂ© Ă  relire et Ă©tudier les archives consultĂ©es prĂ©cĂ©demment par Domet pour Ă©crire son histoire de la forĂȘt. Celles de monsieur Reuss contiennent notamment des copies intĂ©grales des grandes rĂ©formations de 1664, 1716 et de 1754 auxquels il faut ajouter de nombreux morceaux des amĂ©nagements suivants et des courriers. Tous ces Ă©crits sont commentĂ©s de notes techniques hermĂ©tiques et inutiles pour le profane mais qui permettent de se faire une idĂ©e des diffĂ©rents paysages qu'a connu Fontainebleau ainsi que des intentions de l'Administration ForestiĂšre.

La forĂȘt de Fontainebleau, avant la grande rĂ©formation de 1664, est un ensemble de bois trĂšs hĂ©tĂ©rogĂšnes dans leur esthĂ©tique. C'est le rĂ©sultat de traitements incohĂ©rents et parfois contradictoires qui suivaient les bons plaisirs des rois, soit que ceux ci faisaient couper du bois pour renflouer le trĂ©sor royal, soit qu'ils y interdisaient les coupes pour favoriser la prolifĂ©ration du gibier, lequel ne manquait pas alors de dĂ©vorer chaque pousse dĂ©sĂ©quilibrant un peu plus la rĂ©gĂ©nĂ©ration naturelle de la sylve bellifontaine.

Barillon d'Amoncourt, le rĂ©formateur de 1664, annonce 6 740 ha de forĂȘt sans compter les vides. Or, en 1715, la superficie totale est calculĂ©e Ă  14 242 ha. Si on en retire les 6 740 ha de surface boisĂ©e, on obtient environ 7 500 ha de vides et rochers, soit plus de la moitiĂ© de la forĂȘt, au milieu du XVIIe ! 


Cela revient Ă  dire Ă  tout ceux qui se veulent protecteurs d'une forĂȘt millĂ©naire qu'hĂ©las ils se trompent, plus de la moitiĂ© des nos belles futaies ayant au maximum 400 ans !

Une Ă©tude des gravures du XVIIe ou une relecture de certains Ă©crits de l'Ă©poque devraient achever le constat. En effet, sur les gravures du chĂąteau de Fontainebleau, notamment la VeĂŒe gĂ©nĂ©rale de Fontaine-bleau de PĂ©relle, on reconnait facilement le Mont Chauvet, le Mont Aigu ou le Rocher de Samois que l'on n'aurait pu dessiner si les alentours avaient Ă©tĂ© boisĂ©s comme aujourd'hui !


En 1631, un anonyme laissa un manuscrit racontant le Voyage raccourcy d'un Quidam à Fontaine Belle Eau, dans lequel on peut lire qu'il a traversé les "Gorges d'Aspres-Monts" qualifiées "D'affreuses monstaignes qui semblent esgaler le sommet du mont Olympe." On sait donc que les paysages actuels ont été façonnés par l'homme et ses plantations entre 1720 et 1850.

En 1796, plus du quart de la forĂȘt Ă©tait encore "vierge" de plantations et ne fut plantĂ© qu'Ă  comptĂ© de 1818 notamment en rĂ©sineux. De 1831 Ă  1848, ce sont prĂšs de 6 000 ha qui seront ensemencĂ©s !

De mĂȘme, les photographies du dĂ©but du XXe notamment celles prises lors de la grande campagne lancĂ© en france en 1904 et qui servit Ă  l'Ă©dition de milliers cartes postales, ainsi que les quelques films tournĂ©s Ă  Bleau Ă  cette Ă©poque donnent une assez bonne idĂ©e des dĂ©serts d'alors...





On regretterait presque que les forestiers n'aient pas conservĂ© Franchard ou Apremont dans son Ă©tat dĂ©sertique. Cela devait ĂȘtre trĂšs impressionnant comme paysage.
 

Les travaux de l'ONF toujours remis en question

Si la longue polĂ©mique qui donna naissance aux rĂ©serves s'est apaisĂ©e avec le temps, l'ONF et ses travaux paysagers sont restĂ©s au cƓur des dĂ©bats.

En effet, l'utilisation des rĂ©sineux et notamment des pins pour le reboisement fut critiquĂ©e dĂšs le dĂ©part. En 1884, les autoritĂ©s dĂ©partementales rĂ©clamaient d'avantage de plantations en chĂȘne, mais l'inspecteur Sainte-Fare proposait sur un reboisement total de 4 575 ha l'utilisation des rĂ©sineux sur 1 663 ha !


Grotte BĂ©atrix au Restant du Long Rocher
était bien dégagée en 1900 !
 Songez qu'en 1861 le chĂȘne occupait encore plus de 53 % de la surface de la forĂȘt contre seulement 24 % pour les rĂ©sineux. En 1882, le chĂȘne ne couvre plus que 46 % du territoire contre 34 % pour le pin. En 1904, la part du chĂȘne est passĂ©e Ă  35 % et, surtout, les pins sont devenus majoritaires avec plus de 40 % de la surface de la forĂȘt. Toutefois, ces derniers chiffres, bien que publiĂ©s par l'inspecteur Duchaufour, sont sujet Ă  caution si l'on en croit ceux publiĂ©s en 1900 par M. Reuss qui propose des proportions autours du 50 % de chĂȘnes et 30 % de pins.

La deuxiĂšme guerre mondiale causa bien des ravages et la forĂȘt de Fontainebleau en fit aussi les frais. Outre les gigantesques incendies des Trois Pignons, on prĂ©leva 500 ha de bois de chauffage pour Paris y compris au sein des rĂ©serves car la contribution demandĂ©e Ă  notre forĂȘt fut de 123 000 stĂšres de bois ! De 1940 Ă  1946, c'est plus de 797 000 m3 qui furent prĂ©levĂ©s soit presque le double de sa production normale.

En 1968, un rapport prĂ©alable Ă  l'Ă©laboration du Plan d'amĂ©nagement, estime qu'un tiers de la forĂȘt a une durĂ©e de vie infĂ©rieure Ă  une trentaine d'annĂ©es. Une situation alarmante que le Plan d'amĂ©nagement de 1970 doit prendre en compte. En 1972, il est donc prĂ©vu de "rajeunir" 7 000 ha sur trente ans !

Les mĂ©thodes utilisĂ©es pour atteindre cet objectif vont faire l'objet de nombreuses contestations. Parmi les plus concrĂštes et sĂ©rieuses, citons celles formulĂ©es par l'Association des Amis de la ForĂȘt de Fontainebleau (AAFF). Elle est l'hĂ©ritiĂšre et gardienne du travail de Denecourt et Colinet. Cela signifie qu'elle s'occupe de l'entretien des sentiers bleus mais aussi qu'elle poursuit l'inventaire des arbres remarquables de la forĂȘt qui sont marquĂ©s d'un rond bleu. Ces derniers sont constituĂ©s soit de trĂšs vieux spĂ©cimens Ă  conserver, soit d'essences rares et protĂ©gĂ©es ou en dehors de leur aire habituelle de rĂ©partition gĂ©ographique, auxquels s'ajoutent des arbres remarquables par leur forme ou prĂ©sentant une anomalie gĂ©nĂ©tique. On trouvera donc parmi les publications de l'association deux ouvrages de rĂ©fĂ©rence rĂ©guliĂšrement mis Ă  jour : le Guide des sentiers Denecourt et le Guide des arbres remarquables. Mais ce ne sont pas les seuls Ă©crits de cette association. 
 
Cette association est l'une des plus vieilles de France et nous offre plus de cent ans d'analyse des paysages forestiers. Rappelons un peu ses dĂ©buts...   

Charles Moreau-Vauthier, un artiste peintre de la rĂ©gion fait remarquer que ses confrĂšres ont quittĂ© les belles futaies qu'ils dĂ©fendent depuis 1830 pour peindre en plaine. Toutefois, ils se soucient encore de l'avenir des paysages forestiers. Charles Moreau-Vauthier va donc crĂ©er un groupement de dĂ©fense forestiĂšre : les Amis de la ForĂȘt. Cette association aurait pu commettre les mĂȘmes erreurs que le ComitĂ© de Bois-le-Roi, divisĂ© par des querelles de clochers, mais son fondateur su Ă©viter cet Ă©cueil. Pourtant les dĂ©buts de l'association furent difficiles. En effet, si certains membres souhaitaient l'arrachage des pins nĂ©s dans la rĂ©serve artistique et mĂȘme l'arrĂȘt de leur utilisation, d'autres leur rĂ©torquaient que ces pins sont trĂšs beaux lorsqu'ils se dĂ©veloppent en futaies.

Nous n'avons pas parlĂ© des bouleaux, arbre magnifique mais dont l'exploitation n'a que peu d'intĂ©rĂȘt. Lui aussi a fait l'objet d'Ăąpres discussions au sein de l'association entre dĂ©tracteurs et dĂ©fenseurs. Certains membres allaient mĂȘme jusqu'Ă  rĂ©clamer la suppression des bancs publics, des Ă©criteaux et du balisage des sentiers Denecourt et Colinet ! Enfin, sur un terrain plus politique, certains demandaient le rattachement des Eaux et ForĂȘts Ă  l'administration des beaux-arts ! Bref, il rĂ©gnait dans ce groupement d'artistes passionnĂ©s une vĂ©ritable cacophonie.


Il va de soit que les forestiers ne voyaient pas d'un bon Ɠil cette nouvelle arrivĂ©e de rĂ©clamations. Heureusement, plus sages que son prĂ©dĂ©cesseur, ce nouveau comitĂ© entreprit de collaborer directement avec les reprĂ©sentants locaux de l'Administration. Ces derniers prirent donc l'habitude de parcourir la forĂȘt avec les artistes pour Ă©tudier sur le terrain les travaux Ă  entreprendre. Il y eut bien entendu quelques tensions et incidents.

En 1912 par exemple, le futur ONF fut pris a partie par les Amis de la ForĂȘt au sujet d'une future coupe Aux ventes Ă  la Reine que rĂ©clamait le puissant syndicat des bois et charbon de Seine et Marne. La querelle fit grand bruit dans la presse locale et parisienne ! Et comme Ă  chaque fois, les choses reprirent leur cour habituelle Ă  une diffĂ©rence prĂšs, l'Administration sait qu'il faut compter avec la force de l'opinion publique car elle a dĂ©jĂ  perdu quelques combats !

Fort du soutien de la presse, les usagers de la forĂȘt se regroupent et bientĂŽt, aux cĂŽtĂ©s de l'AAFF, il existe plusieurs associations de sauvegarde de la nature ce qui constitue Ă  la fois une force et une faiblesse. Une force car lorsqu'elles s'unissent, ces associations constituent un vĂ©ritable contre pouvoir dont les actions conjointes ont permis la sauvegarde de nombreux sites. A l'inverse, lorsqu'elles se mettent Ă  prĂȘcher chacune pour leur paroisse, c'est souvent l'Administration ForestiĂšre qui gagne... Heureusement, les AFF se sont presque toujours entendus avec les autres utilisateurs de Bleau pour faire valoir leur droit Ă  la forĂȘt.


Mais revenons Ă  notre Bleau et Ă  sa sylviculture.

Le plan d'amĂ©nagement de 1970 et ses directives d'application organisent les travaux de rĂ©gĂ©nĂ©ration forestiĂšre et les choix paysagĂ©s qui en dĂ©coulent. A l'Ă©poque, l'ONF procĂšde Ă  de nombreuses "coupes rases" (dites Ă  "blanc Ă©toc") avant de replanter. Ainsi en quelques jours, des parcelles entiĂšres de vieux chĂȘnes sont entiĂšrement rasĂ©es. Une plaie dans l'immense visage de la forĂȘt qui mettra plusieurs siĂšcles Ă  cicatriser et un traumatisme pour tous les amoureux de belles futaies qui voient disparaĂźtre d'un coup deux Ă  quatre hectares de leurs paysages favoris Ă  chaque nouvelle coupe !


Certes, la forĂȘt a bien des difficultĂ©s Ă  se rĂ©gĂ©nĂ©rer elle mĂȘme et nos magnifiques futaies de Fontainebleau, Rambouillet ou Chantilly ne seraient pas ce qu'elles sont sans le travail de l'homme. Mais les choix rĂ©alisĂ©s Ă  l'Ă©poque par l'Office ne pouvaient convenir aux bleausards. Les AFF ont longtemps menĂ© la fronde contre les directives de ce Plan d’amĂ©nagement, multipliant leurs interventions dans la presse rĂ©gionale et nationale dĂšs 1972, non sans obtenir rapidement d'importantes victoires.

Ainsi, la mĂ©thode des coupes rases utilisĂ©e sur plus de 500 ha entre 1970 et 1972 a Ă©tĂ© modifiĂ©e. Toutefois, dix-huit ans aprĂšs, ce point est toujours Ă  l’ordre du jour et les travaux prĂ©paratoires Ă  la rĂ©daction du Plan d’amĂ©nagement pour les Trois Pignons aux dĂ©buts des annĂ©es 90 ont Ă©tĂ© l’occasion de relancer le combat.

Entre 1972 et 1990, c’est plus de 2 700 ha (soit prĂšs de 15% de la domaniale) qui ont fait l’objet de ce traitement avec par exemple la destruction des futaies sur cinq parcelles forestiĂšres contiguĂ«s (n°322, 316, 323, 333 et 334) pour prĂšs de 100 ha !

Dans leur Livre vert de 1990, les AAFF commentent fort justement cette gestion en neuf chapitres impossibles à résumer ici. Les réclamations issues de leurs conclusions sont les suivantes :
« - que l’intĂ©gritĂ© des forĂȘts qui composent le massif, soit totalement respectĂ©e et qu’une politique d’acquisition active des enclaves privĂ©es permette son extension,
- ( …) que la politique sylvicole retenue pour le massif ait comme but essentiel le maintien de la variĂ©tĂ© des peuplements forestiers exceptionnels,
- que les rĂ©gimes forestiers appliquĂ©s ne soient pas limitĂ©s au rĂ©gime de la futaie rĂ©guliĂšre avec deux essences prioritaires, mais que les forĂȘts du massif soient soumises Ă  des rĂ©gimes variĂ©s (…),
- que les activitĂ©s militaires, Ă  l’exception des activitĂ©s Ă©questres et sportives, soient transfĂ©rĂ©es hors du massif,
- que les choix futurs concernant les grands axes de circulation respectent totalement l’intĂ©gritĂ© du massif soit contournĂ© ou Ă©vitĂ©,
- que les zones dégradées du massif (anciennes carriÚres ou zones industrielles plus ou moins abandonnées) soient aménagées ou réhabilitées,
- enfin, que le contrĂŽle du dĂ©veloppement de l’urbanisation soit trĂšs strict et que la qualitĂ© de cette urbanisation, comme le maintien des espaces naturels existants soient assurĂ©s ».

Les AFF soulignent notamment que les trois derniers souhaits sont en liaison direct avec le SDAU (SchĂ©ma Directeur d’AmĂ©nagement et d’Urbanisme) d’Île – de France. L’association rappelle par ailleurs le rĂŽle primordial de l’ONF, la nĂ©cessitĂ© de renforcer son pouvoir et de rĂ©former le statut du massif. Les AFF souhaitent aussi que soit institutionnalisĂ©e une concertation approfondie et frĂ©quente entre l’ONF et les diffĂ©rents acteurs y compris les reprĂ©sentants des usagers sous forme d’un comitĂ© « ad hoc ».

Sur nombre de ces points, les AFF ont eut gain de cause. De plus, depuis les discussions sur le statut de Parc National en 1998, le comitĂ© ad hoc a pris la forme d’une commission prĂ©fectorale Ă  laquelle siĂšge quelques associations de naturalistes et d’usagers comme les AFF.

Bien entendu, la rĂ©partition des essences et l'envahissement par les pins des plus belles futaies bleausardes ont Ă©tĂ© mis en relief dans le Livre vert.

Ainsi, en 1990, les AFF dĂ©nombraient 297 parcelles forestiĂšres en rĂ©sineux majoritaires dont 118 le sont devenu depuis la mise en Ɠuvre du Plan d’AmĂ©nagement de 1970. Les AFF estiment alors « et pour Ă©viter tout esprit de polĂ©mique avec l’ONF que soixante parcelles au moins » sur les 118 ont Ă©tĂ© directement «enrĂ©sinĂ©es» par ce Plan !

En effet, l’association cite des chiffres importants. Ainsi, en 1986, 48 000 feuillus sont abattus contre 13 000 rĂ©sineux. L’annĂ©e suivante c’est 54 000 feuillus contre 16 500 rĂ©sineux et en 1988, c’est 55 000 feuillus contre 15 000 rĂ©sineux. A cette mĂȘme Ă©poque, l’ONF considĂ©rait dĂ©jĂ  que le hĂȘtre Ă©tait, ici, « Ă  la limite de son aire de rĂ©partition gĂ©ographique », c’est pourquoi il a Ă©tĂ© coupĂ© quatre fois plus de hĂȘtres que de chĂȘnes alors qu’ils Ă©taient quatre fois moins nombreux.


On l'aura compris, en plus du choix des essences utilisées pour le reboisement, les discussions ont porté sur les méthodes de sylviculture. On critiquera bien volontiers l'utilisation abusive par le passé des coupes rases.

PF n°269 oĂč la belle forĂȘt de manches Ă  balais que nous constitue l'ONF pour mieux mĂ©caniser ses coupes !
Il nous faudrait aussi parler des types de paysage gĂ©nĂ©rĂ©s par ces mĂ©thodes. En effet, couper tous les arbres d'une parcelle revient Ă  dire que ceux qui y seront replantĂ©s auront tous le mĂȘme Ăąge, pousseront au mĂȘme rythme et au final, auront la mĂȘme hauteur... 

En 1996, la rĂ©daction du dernier Plan d'amĂ©nagement forestier instituait 580 hectares de rĂ©serves biologiques intĂ©grales, 1331 ha de rĂ©serves biologiques dirigĂ©es, 1655 ha de sĂ©ries d'intĂ©rĂȘt Ă©cologique particulier et 3434 hectares de sĂ©ries d'intĂ©rĂȘt paysager particulier.

On peut considĂ©rer que cet ensemble, Ă  l'exclusion des RBI, garantit une gestion conservatoire des milieux et des espĂšces. A ce jour, l'Ă©tat de notre forĂȘt se caractĂ©rise par des peuplements mĂ©langĂ©s oĂč dominent les feuillus sur environ 60% des surfaces dont 42% pour le chĂȘne et 11% pour le hĂȘtre. De 1720 Ă  1847 plus de 14 000 hectares de notre forĂȘt ont Ă©tĂ© replantĂ©s ! Pour enrayer le vieillissement des futaies de chĂȘnes et de hĂȘtres, de 1970 Ă  1995, prĂšs de 3400 ha ont Ă©tĂ© mis en rĂ©gĂ©nĂ©ration.



Carte des séries sylvicoles actuelles

La richesse et la variété du patrimoine biologique de Bleau résulte trÚs largement des mesures de conservation et de gestion adoptées jusque ici. Pour maintenir l'équilibre des peuplements 9 903 hectares constituent la série de gestion sylvicole patrimoniale. Nous allons le voir, ces chiffres présentent un équilibre fragile et parfois contesté.

D'ailleurs, depuis 2007, nous constatons une nouvelle accélération des coupes et le retour aux grandes coupes rases ! En France, la situation de l'ONF est catastrophique... et de nombreuses mesures ont été prises ces derniÚres années pour restructurer et rentabiliser l'administration. Un débats que nous évoquons trÚs réguliÚrement dans nos colonnes. En 2016, le nouveau plan d'aménagement nous permettra-t'il de préserver nos paysages ?




Coupe en mars 2011 PF n°354 sur 8 ha !!!

1 commentaire :

  1. Merci infiniment pour ce travail trĂšs approfondi et prĂ©cis. Je voulais me renseigner sur les origines et l'histoire de cette magnifique forĂȘt, eh bien,j'ai Ă©tĂ© servie. Bravo...

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