Ethique et toc dit l'avocat du diable

Il n'y a pas qu'en France où les équipeurs et autres brosseurs de cailloux peuvent être violemment pris à partie pour leur éthique! Après Enzo Oddo et sa fugueverticale brésilienne qui aurait pu conduire à l’interdiction du site (sur kairn) pour ne pas avoir respecter la réglementation locale, c’est au tour de Joe Kinder, figure emblématique de l’escalade aux USA, de se prendre un volée de bois vert. L'affaire concerne l'abattage d'un arbre pour l’équipement d'une voie ce qui n'est pas sans rappeler quelques histoires bien de chez nous comme  le dernier coup de gueule de Pierre Duret (sur kairn), celui des amis du viaduc des fauvettes (LTL²B) sur un abre coupé égallement (Essonne) ou quelques polémiques bleausardes sur la coupe d’arbres, le décapage de certains rochers ou l’aménagement de certaines surfaces de réception ! 

A la TL²B, c’est le genre de chose qui nous font souvent réagir et pour lesquelles, Greg Clouzeau tient une tribune dans le magazine Grimper. Ces problématiques d’éthique et de sauvegarde de l’environnement finissent  bien souvent en affrontements sur les forums jusqu’à leur clôture par un modérateur effrayé par les propos des uns envers les autres ! Peut-on avoir une discussion sérieuse en la matière ? Peut-on espérer qu’un jour les grimpeurs réfléchissent un peu plus aux conséquences locales, nationales et internationales de leur pratique ? Peter Beal, un autre grand nom de l’escaladeaméricaine, s’est interrogé sur la question en tentant d’élever le débat à unehauteur plus philosophique.


Joe Kinder a donc coupé un arbre qui le gênait pour l’équipement de sa voie sur les rives du lac Tahoe. Une erreur qu’il reconnaît et qui lui a valu de très violentes critiques mais aussi quelques soutiens enflammés (sur son site en anglais). Parmi les arguments de ses défenseurs, on peut lire des choses du genre « après tout c’est pas si grave, ce n’est qu’un arbre » ou « on coupe bien des arbres pour les poutres de vos maisons, vos journaux, le PQ… »

On peut légitimement s’interroger  sur la valeur de nos performances sportives versus l’environnement dans lequel elles se pratiquent au sens large (nature, relations humaines…)
Comment nous traitons les personnes ou l'environnement le long du chemin qui mène au sommet ?
Qu’est-ce qui et le plus important : notre objectif et ses retombées ou le respect des hommes et de la planète ?

Dans notre quête du toujours plus haut, plus dur ou plus fort,  c'est quelque chose que beaucoup semble avoir oublié et qu’il est peut être bon de rappeler .

Il est inutile d’escalader quelque chose qui a été modifié pour correspondre à nos capacités. « En escalade , il y a toujours une alternative plus facile , par exemple en mettant en place une échelle, ou en faisant le tour par derrière (…), ou tout simplement mentir sur ce que vous avez fait. Pour grimper quelque chose honnêtement, par définition, il faut renoncer à ces alternatives plus faciles , plus faibles,  «moins bonnes» . Par conséquent, en escalade, il y aura toujours un choix éthique à faire. Et on ne peut l’éviter.

D’après Peter, l’approche philosophique de l'éthique repose sur l’analyse des conséquences possibles suivant deux axes : l’un humain répondant à la question comment cela rendra les gens plus heureux ou moins malheureux, et celle  fondée sur le devoir moral intrinsèque , est-ce que je fais la « bonne chose » indépendamment des conséquences avantageuses ou préjudiciables qui peuvent se produire pour moi ou pour les autres . Et Peter de nous rappeler  que les grimpeurs feraient bien de tenir compte de ces deux approches dans nos choix, de penser en termes de conséquences de nos actes, de voir s'il ya quelque chose d'intrinsèquement « bon » vers lequel nous devrions aller .

L’idée de Peter est que les querelles d’éthique dans notre milieu reposent sur un manque de compréhension de la philosophie même de notre sport. Parler éthique, c’est parler de morale, de principes tels que le bien et le mal.

Le bien et le mal sont des notions très relatives liées notamment à notre éducation et notre façon de penser. 

Dire qu’une action est objectivement « bonne » ou « mauvaise » est, dans ces conditions, très complexe. Ainsi, ce que nous considérons comme « bon » pour l’environnement repose  avant tout sur ce que nous ou la communauté  préfère. Le nucléaire est-il objectivement « moins bon » que le charbon ?

L’objectivisme de la situation, c’est-à-dire ce qui va rendre moralement « bien ou mal » notre action,  peut varier suivant certaines situations locales et donc, faire varier le bien-fondé de l’acte. Ainsi, par exemple, certains déontologues et philosophes affirmeront que le mensonge est « bon » dans certaines situations où objectivement il vise à améliorer la condition des autres. Ainsi, en escalade, en suivant ce principe, on peut certainement considérer qu’il est éthiquement raisonnable de couper un arbre, équiper à demeure une voie, etc dans certaines conditions acceptées par la communauté locale.

On est toujours  frappé par la violence de certains commentaires dont sont victimes les grimpeurs qui enfreignent telle ou telle règle de notre sport, à l’image de ce qu’a vécu Joe Kinder… Mais surtout, Peter nous fait remarquer que dans ce type de discussion, deux notions dominent sur le fond : le relativisme (notion selon laquelle il n'existe pas de norme absolue de ce qui est bon ou mauvais ) et l'utilitarisme (position qui défend que les actions qui se traduisent par un plus grand bonheur de l'homme sont plus éthiques que les autres ). 

Il est aussi frappé par le par le fait qu’une voie d’escalade, « construction abstraite de l'homme  qui a une utilité minime et une identité artificielle » , au mieux , devient quelque chose qui vaut la peine de sacrifier un être vivant pour son ouverture.
Est-il acceptable d' abattre un arbre pour pratiquer un loisir ?
La perte de cet arbre a-t-elle des conséquences à l’échelle locale, nationale ou internationale ?

Pour étayer son propos Peter nous rappelle que dans certaines régions arides des USA, couper un seul arbre a plus d’impact qu’en couper 100 ailleurs dans le pays. « Si nous regardons cela sous un autre point de vue, disons , celle de la vie humaine, serions-nous convaincus par l'affirmation que puisqu’il y a des milliards de personnes, un ou deux de moins n’ont aucune importance ? Nos préoccupations à propos de ces arbres abattus pour équiper une voie vont-elles nous faire renoncer à utiliser un topo imprimé sur du papier ou à vivre dans une maison en bois ?

Comme Peter, nous pensons qu'escalade et écologie doivent se rapprocher. Notre société en général et notre milieu en particulier doivent trouver les pistes permettant de concilier  nos désirs de conquête (assez bien exprimés dans le slogan d’une grande marque d’outdoor « Never Stop Exploring ») avec le respect des milieux naturels et leurs besoins pour survivre... 
« Notre jeu , tel que défini par Peter, repose sur ce choix éthique de ne pas suivre la voie la plus facile . Ce qui vaut pour notre sport doit être appliqué aux actions qui nous permettent de le pratiquer (nettoyage, bricolage du rocher, équipement… jusqu’à l’usage de la magnésie, des coinceurs, des pads et de la corde !) Notre slogan pourrait être " ne cessons pas de penser " que ce soit au sujet de l'éthique ou de nos impacts sur l' environnement.

" Tout être vivant est sacrée" est une position cohérente , quoique quasi impossible à vivre de façon réaliste.
" Je veux juste mon plaisir et le reste, je m’en… " est aussi une position cohérente , classée comme égoïste et amorale donc condamnée par une majorité.
"Certains êtres vivants sont plus sacrées que d'autres parce que, euh ... " est la position communément défendue dans les commentaires des forums et tombent irrémédiablement dans la subjectivité.

Alors oui, les grimpeurs violent systématiquement le principe d'altération du milieu, nous y compris. Mais finalement, si l'escalade choisit systématiquement  « le plus dur » notre pratique n’est peut-être vouée qu’à faire l’apologie de ceux qui font du psychobloc ou du 9b à vue et en solo et à châtier ceux qui, dans une pratique de loisir consumériste, utilisent des protections fixées à demeure dans le rocher, de la magnésie, des chaussons…

On peut certainement trouver un juste milieu qui permettent à notre sport d’exister et de se développer tout en réduisant ses impacts négatifs sur la nature et les populations locales.
Par exemple , les grimpeurs devraient toujours respecter les interdictions et se rappeler  qu’en y contrevenant la zone pourrait être fermée par les gestionnaires. Respecter les pratiques locales (non équipement, trad’, limitation du pof ou de la magnésie…) et écouter les locaux est forcément la clé de la réussite. L’escalade n’est pas une pratique aux régles universelles

Voilà, on peut rêver.

image : Joe Kinder/dpmclimbing.com

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4 commentaires :

  1. On peut également ajouter un cas tout aussi récent de grimpeurs bien connus qui ont passés 2 mois dans un parc national fermé en Australie... Devant la fronde des grimpeurs locaux les vidéos ont tout bonnement été supprimées et il est très dur de retrouver des traces de cette affaire.

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  2. Mauruuru pour l'article. Je trouve que l'on oublie trop souvent que l'escalade est un jeu et que notre terrain de jeu est la nature. Couper un arbre pour ouvrir une voie est à mon sens aussi absurde qu'un surfeur qui irait taguer un rocher... le surfeur a beau avoir une éthique incommensurable pour l'océan et les vagues, s'il va pourir le rocher juste derrière ça n'a pas de sens. Quand j'entends des grimpeurs parler de "pureté d'une voie" et en mˆeme temps couper le chˆene centenaire juste derrière je trouve que l'on atteint le summum de l'absurdité.

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  3. Maintenant, (merci Colin Pileus de m'y faire penser) qui n'a jamais été faire du ski/snowboard/etc. ? Parce que le cas échéant, on cautionne le "massacre" des montagnes pour avoir de belles pentes...

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  4. Notre société détruit la planète, fesont en sorte de la détruire le plus doucement possible afin de laisser une chance à l'humanité de changer avant l'inéluctable...

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