Grandeur et décadence du Grenelle By Thibault Soleilhac

By Thibault Soleilhac
La reconversion écologique de la France n’est pas une sinécure et il ne suffit manifestement pas de recourir aux formules kabbalistiques du « Grenelle » ou du « New Deal écologique » comme s’y sont laissés prendre le Président et son Gouvernement pour réussir une véritable mutation environnementale par le droit. Bref survol du parcours et du contenu de la loi portant engagement national pour l’environnement du 12 juillet 2010 , un texte pléthorique au « singulier destin » (Ph. Billet) entre « top et flop » (R. Romi).

1) Le bourbier parlementaire et politique
C’est un euphémisme de dire qu’après l’adoption à l’unisson de la loi Grenelle I dans le cadre d’une entente cordiale entre majorité et opposition, l’adoption de la loi Grenelle II s’est embourbée dans les clivages politiques au risque de lasser l’opinion. Il aura fallu plus d’un an et demi d’efforts, et l’examen de plus de 2500 amendements pour accoucher en quelques dizaines d’un texte touffu de 257 articles, adopté à une majorité toute relative.
L’intelligibilité des articles en question est parfois discutable. Quant à l’accessibilité du texte, ce n’est même pas la peine d’en parler sauf à avoir une vocation de moine copiste pour faire les incessants allers-retours vers les centaines de textes modifiés. Mais il est vrai qu’il ne s’agit là que d’objectifs à valeur constitutionnelle.
La déclaration d’urgence n’a pas été d’un grand secours, si ce n’est jeter une suspicion supplémentaire sur la procédure parlementaire, déjà lourdement entachée par une limitation prédéfinie du temps de parole de chaque groupe parlementaire en application du nouvel article 49 du règlement de l’Assemblée nationale .
Le consensus qui a prévalu pour le texte d’orientation du Grenelle I, s’est évaporé pour le texte d’application et sa boîte à outils, en même temps que tombait la sentence présidentielle aux comices agricoles de la capitale : « L’écologie, ça commence à bien faire ».
La proposition – vite rabrouée – d’un Grenelle III pour pallier les errements économico-politiques du dernier opus trahit suffisamment ce gâchis d’envergure. Inutile de chercher des principes ou une structuration du droit de l'environnement pour l'avenir dans ce texte qui se résume à une avalanche de dispositions, à une énorme  et luxuriante compilation de mesures et de modifications législatives, une boîte à outils mal rangée et difficile à maîtriser.

2) L’équilibrisme idéologique
Histoire de poser les termes du débat et de ne renier ni la production débridée, ni la société de consommation à outrance, l’article L. 110-1 du Code de l’environnement intègre désormais une définition du développement durable digne d’un numéro d’équilibriste que l’on ne peut que saluer. Le développement durable constitue certes une oxymore indépassable. Mais là, ce n’est plus le mariage de la carpe et du lapin, c’est de la polygamie.
« L'objectif de développement durable, tel qu'indiqué au II, répond, de façon concomitante et cohérente, à cinq finalités :
1° La lutte contre le changement climatique ; 2° La préservation de la biodiversité, des milieux et des ressources ; 3° La cohésion sociale et la solidarité entre les territoires et les générations ; 4° L'épanouissement de tous les êtres humains ; 5° Une dynamique de développement suivant des modes de production et de consommation responsables ».
« L’épanouissement des êtres humains », c’est beau comme du Baudelaire et ça rappelle « la recherche du bonheur » chère aux Constituants américains mais il faut être bien malin pour en trouver la moindre trace concrète dans les 313 pages du texte.

2) Les gueules cassées du Grenelle II
Face à la concrétisation de la menace d’un verdissement trop contraignant de certains secteurs, les lobbies sont efficacement revenus à la charge pour ruiner les promesses du Grenelle I.
« Le troisième temps du droit de la conservation de la nature » que devaient représenter les trames vertes et bleues devra encore attendre puisqu’elles ne sont en définitive pas rendues opposables aux documents d’urbanisme et aux grands réseaux. La simple « prise en compte » les prive de l’essentiel de leur efficacité. L’instrument de protection s’est transformé en inventaire élaboré dans le cadre d’une procédure administrative qu’on peut pour le moins qualifier de lourde.
L’information des consommateurs peut attendre. L’obligation d’indiquer sur les étiquettes le bilan carbone des produits vendus ne sera que vaguement expérimentée, évaluée dans l’attente de la suite.
Parmi les gueules cassées (mais survivantes) des débats parlementaires, on retiendra encore le médiatique coup d’arrêt apporté aux petits parcs éoliens et la soumission des installations éoliennes au régime des installations classées (même est-ce vraiment un mal ? ).
L’objectif de réduction des pesticides a été drastiquement revu à la baisse si l'on compare les premiers objectifs au texte final, au profit d’une insuffisante réglementation de la vente et de la publicité des produits phytosanitaires (article 94 :  "La mise en vente, la vente, la distribution à titre gratuit, l’application et le conseil à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques").
Quant au progrès en matière de responsabilité sociale et environnementale des entreprises, il est à craindre que sa concrétisation effective attende encore longtemps. La corrosion de l’écran de la personnalité morale permettant la mise en cause des sociétés mères pour les fautes commises par leurs filiales va encore se heurter à un antirouille efficace (cf. de votre serviteur, Entreprises et projets de loi Grenelle 1 et 2 : quand la pollution corrode l’écran de la personnalité morale, Option Finance, 11 mai 2009).
Enfin, il ne faut pas oublier que la mise en oeuvre de ce texte fourre-tout va nécessiter l'adoption de nombreux décrets d'application, retardant d'autant son effectivité vu la complexité technique ou écologique des domaines abordés d'une part et vu les enjeux économiques afférents d'autre part. Il ne s'agira alors plus des gueules cassées du Grenelle mais bien des oubliés du Grenelle.

3) Les avancées non négligeables
§  Dans le domaine de l'habitat et de l'urbanisme, le texte renforce l'exigence de diagnostic de performance énergétique avec de nombreuses modifications du Code de la construction et de l'habitat et entame une modification importante du code de l'urbanisme pour l'adapter aux enjeux du développement urbain durable. Les matériaux et les installations de production d'énergie renouvelable sont ainsi favorisés. La notion de précarité énergétique apparaît dans le cadre du droit au logement. La loi crée également les directives territoriales d'aménagement et de développement durables qui remplacent et surpassent les anciennes directives territoriales d'aménagement. Elle redéfinie et articule les documents d'urbanisme existants, notamment le SCOT et le PLU. Les ZPPAUP sont remplacées par les Aires de mise envaleur de l'architecture et du patrimoine au terme d'une période transitoire. La loi opère enfin certaines modications en matière de publicité extérieure.
§  Dans le domaine des transports, le texte adapte la législation actuelle afin de privilégier des modes de transport durables et d'en réduire les nuisances notamment dans le cadre du plan de dpélacement urbain. La possibilité de créer des péages urbains est également prévues à titre expérimental.Est enfin abordée la question du transport non routier de marchandises.
§  Dans le domaine de l'énergie et de la qualité de l'air, il étend le dispositif des certificats d'économie d'énergie et il encadre le développement des dispositifs expérimentaux de stockage géologique de CO2. Les grandes entités publiques ou privées sont désormais soumises à l'obligation d'un bilan d'émission de gaz à effet de serre (GES) et des plans climat-énergie territoriaux seront élaborés.
§  De nombreuses dispositions concernent les déchets et notamment la planification départementale de l'élimination des déchets et celle des ports maritimes. Sont aussi abordés les déchets du BTP et les déchets ménagers dangereux.
§  Dans le domaine de la biodiversité, la création de la « trame verte » et de la « trame bleue » a au moins le mérite de consacrer la notion de continuité écologique des territoires avec une planification nartionale et des schémas régionaux de cohérence écologique. La protection des zones humides et de la qualité des eaux est renforcée.
§  Enfin, la concertation est élargie avant les décisions publiques dès qu'un impact significatif sur l'environnement est en jeu avec une simplification et une unification des procédures d'étude d'impact et d'enquête publique.
Les échecs, avanies et bassesses en tout genre ne doivent cependant pas cacher les avancées qui, pour limitées qu’elles soient par rapport aux ambitions d’origine de l’ensemble du projet de loi, sont tout de même de significatifs progrès en matière de protection de l’environnement.
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