Petite histoire des statuts de la ForĂȘt de Fontainebleau

Quel statut pour le Massif forestier de Fontainebleau ?

L'autre grand sujet de discordes, c'est le choix du statut du domaine. Au fil du temps, il s'est constitué un véritable mille feuilles juridiques qui n'a fait que diluer les responsabilités et surtout les crédits nécessaires à sa protection. Il s'agit de choix trÚs politiques faits au plus haut sommet de l'Etat.

Commençons par rappeler les fonctions de la forĂȘt tel qu'elles sont dĂ©finies aujourd'hui par l'Office National des ForĂȘts. La prioritĂ© Ă  Bleau est toujours donnĂ©e Ă  la fonction de "rĂ©crĂ©ation" et Ă  son usager le moins gĂȘnant pour les autres : le piĂ©ton. Toutefois, la forĂȘt bellifontaine a aussi un rĂŽle de protection du sol, de l'air, de l'eau, de la faune et de la flore ce qui s'illustre notamment au travers des rĂ©serves biologiques et du code forestier. Enfin, la forĂȘt a bien entendu, une fonction de production, le forestier Ă©tant un cultivateur.

Nos forĂȘts ont trĂšs tĂŽt fait l'objet de mesures de protection. Les premiĂšres avaient pour but de maintenir la plus importante densitĂ© de gibier possible pour que les rois ne rentrent jamais bredouilles de leurs chasses avec les consĂ©quences que l'on connaĂźt sur la rĂ©gĂ©nĂ©ration naturelle de la forĂȘt. Le code forestier d'alors n'allait pas sans engendrer des heurts violents entre forestiers et paysans, le braconnage Ă©tant puni de mort !

La constitution de la 21Ăš sĂ©rie a marquĂ© une Ă©tape dĂ©cisive dans l'adoption des premiĂšres mesures de protections des paysages. Bien que trĂšs clair, ce texte n'a pas suffit et le lĂ©gislateur a pris des mesures complĂ©mentaires. Les sĂ©ries "artistiques" d'hier sont devenues des rĂ©serves biologiques intĂ©grales au sein des quelles toutes actions humaines est interdites sans validation par des scientifiques.

Lors de la rédaction du projet d'aménagement en 1995, la surface du domaine forestier s'établissait ainsi : 21 562 ha au total contre 19 398 ha au 1er janvier 1975. La domaniale de Fontainebleau faisait 17 073 ha (+ 121 ha) répartis en 748 parcelles forestiÚres. La plus grosse part de cette extension provient du rachat en 1989 des 88 ha des anciennes sabliÚres de Bourron. Le massif des Trois Pignons comprenait désormais 3 306 ha soit 1 128 ha de plus qu'en 1975. En effet, la Déclaration d'Utilité Public donnée le 22 septembre 1967 et confirmée le 10 mai 1974 a permis l'acquisition en 15 ans de 5 400 parcelles cadastrales pour un total de 2 570 ha. Enfin, les bois de la Commanderie autour de Larchant étaient encore en cours d'acquisition par l'Etat qui doit racheter 1 700 parcelles cadastrales réparties entre quelques 220 propriétaires dont celle qui abrite la célÚbre Dame Jeanne.

Nous avons vu au chapitre sylviculture la nĂ©cessitĂ© de prĂ©server ces forĂȘts. Le LĂ©gislateur a multipliĂ© les textes et Ă  Bleau, c'est un vrai mille-feuilles que nous avons aujourd'hui.

Les différentes étapes de la protection

Vous trouverez au chapitre de la protection des sites naturels, l'inventaire des statuts en Seine et Marne ainsi que de nombreuses cartes. Nous n'allons pas faire ici l'historique de toutes les mesures (on pourrait en faire plusieurs livres) mais simplement nous attarder sur les derniÚres années.

Les années 1900

La Loi Beauquier du 21 avril 1904 organise la protection des sites et monuments à caractÚre artistique. Insuffisante, elle fut complétée à diverses reprises notamment le 04 janvier 1929 par le député Join-Lambert, puis en 1960.

Le 25 juin 1943, deux arrĂȘtĂ©s ministĂ©riels avaient permis d’inscrire Ă  l’inventaire des sites « les immeubles, les rochers, groupe de rochers, cavernes et plantations situĂ©s sur les communes de AchĂšre-la-ForĂȘt, Arbonne, le VaudouĂ©, Noisy-sur-Ecole et Milly-la-ForĂȘt… » Une mesure qui se rĂ©vellera totalement insuffisante et inefficace.

En 1965, la forĂȘt de Fontainebleau est classĂ©e au titre de la loi du 2 mai 1930. AppliquĂ©e Ă  100%, cette Loi assurerait dĂ©jĂ  une large protection. Il convenait donc de classer Ă  ce titre les Trois Pignons et autres espaces domaniaux. 

En 1982 dĂ©bute les travaux d'inventaire des zones naturelles d'intĂ©rĂȘt Ă©cologique pour la flore et la faune (ZNIEFF). Toute la domaniale de Fontainebleau y est incluse.

Un dispositif qui sera complété en 1992 par la directive européenne "habitat" qui vise à la protection de quatorze espÚces et treize habitats sensibles intégrés dans les zones dites "Natura 2000".

Dans leur Livre vert, en 1990, les AFF proposaient des alternatives comme le statut de « forĂȘt de protection» utilisĂ© notamment en montagne puis rĂ©cemment pour les forĂȘts pĂ©riurbaines ou l’application d’une protection sur la base de la loi du 10 juillet 1976 sur les zones naturelles sensibles.
Ils rejettaient les statuts de Parc Naturel RĂ©gional (PNR) orientĂ© plutĂŽt vers la rĂ©animation rurale et l’accueil des touristes et celui de Parc National peu adaptĂ©.
De la protection des Trois Pignons vers un projet de Parc National

En vue des cérémonies organisées pour le cinquantiÚme anniversaire de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), en 1998, certains trouvÚrent l'occasion trop belle de faire de Bleau le premier Parc National de plaine ! Une demande récurrente depuis le début du XXÚ siÚcle qui, à chaque fois, déchaßne les esprits.
L'UICN fut créée à Fontainebleau le 05 octobre 1948. A l'époque, les américains souhaitaient organiser la conférence chez eux en arguant que le premier Parc National au monde y avait été créé en 1872 (celui de Yellowstone). Les autorités françaises firent elles valoir que les premiÚres mesures de classement des bois, notre fameuse 21Úme série ou série artistique, était son ainée de 19 ans ! Un demi-siÚcle plus tard, l'UICN c'est : 130 nations, 950 associations et un réseau international de plus de 9 000 experts ! On lui doit entre autres, la Convention de Washington (1973) sur le commerce des espÚces menacées ou celle de Rio (1992) sur la diversité biologique.

L'idĂ©e d'un Parc National Ă  Fontainebleau fut dĂ©fendue par de nombreuses personnalitĂ©s depuis plus d'un siĂšcle. Citons ici l'ouvrage du docteur Henri Dalmon : Un Parc National en forĂȘt de Fontainebleau, imprimĂ© Ă  Roanne en 1914, vĂ©ritable pamphlet contre l'administration forestiĂšre. L'Ă©tude est trĂšs bien documentĂ©e et les positions de l'auteur dĂ©montrent s'il en Ă©tait besoin, toute la passion de cet homme pour Bleau. Il ne rĂ©clamait pourtant qu'un quart de la surface des bois pour faire son Parc ! Cette idĂ©e ne fut pas retenue mais le dossier refait surface trĂšs rĂ©guliĂšrement...

Les dates principales sont 1892, 1913 (commission d’Ă©tude PN), 1948 (demande conjointe de l'UICN et l'ANVL d'un texte lĂ©gislatif), 1957 (dĂ©bat Ă  AssemblĂ©e Nationale), 1965 (classement site naturel).

L'idée d'un Parc National fut aussi reprise par Albert Mary dans ses Notes de géographie physique sur les grÚs de Fontainebleau.

In Guide Loiseau de 1935
L'Ă©tude des Guides Loiseau me fut trĂšs utile pour mesurer les changements qui se sont accĂ©lĂ©rĂ©s avec la fin de la deuxiĂšme guerre mondiale. En effet, une rapide comparaison de la premiĂšre Ă©dition de son guide en 1935 et de la quatriĂšme en 1970 nous confirme au moins deux choses. En 35 ans, la forĂȘt, son voisinage et ses visiteurs ont bien changĂ© ; la nĂ©cessitĂ© de protĂ©ger la forĂȘt est devenue une Ă©vidence pour l'auteur.

Il consacre donc un chapitre entier à cette idée de Parc National et y revient à de nombreuses reprises dont voici quelques morceaux choisis.


"Le Massif de Fontainebleau dĂ©borde trĂšs largement des limites de la forĂȘt domaniale ; ses frontiĂšres gĂ©ographiques apparaissent aisĂ©ment : (...). Ces limites naturelles assez prĂ©cises ont le mĂ©rite de dĂ©terminer un vaste ensemble, en grande partie forestier, que nous avons appelĂ© Massif de Fontainebleau, eu Ă©gard Ă  la forĂȘt Domaniale qui en constitue le plus bel ornement. (...) Cette configuration, essentiellement pittoresque, charme le voyageur et constitue un ensemble caractĂ©ristique, parĂ© de beautĂ©, ce qui l'appellerait Ă  la vocation justifiĂ©e de Parc National. (...) Le monde intellectuel et scientifique s'est Ă©mu des agressions graves qui menacent notre massif et dont nous parlerons plus loin, si bien que l'AssemblĂ©e Nationale, dans sa sĂ©ance du 24 fĂ©vrier 1957, adoptait une proposition de rĂ©solution invitant le gouvernement Ă  dĂ©fendre activement la forĂȘt de Fontainebleau contre les empiĂštements de toutes sortes (...) et Ă  rendre Ă  l'Administration ForestiĂšre tous les sites (...) qui ne sont pas absoluement nĂ©cessaires aux autoritĂ©s militaires." 

Soulignons ici deux choses. La premiĂšre, c'est qu'Ă  cette Ă©poque, le premier accusĂ© de dĂ©truire la forĂȘt n'est pas l'administration gestionnaire mais bien l'armĂ©e.  La seconde, c'est que Loiseau demande le classement en Parc National non pour protĂ©ger la faune et la flore mais bien pour sauvegarder un ensemble pittoresque Ă  l'esthĂ©tique remarquable.

Monsieur Deisonnel qui fut le rapporteur de ce dossier Ă  la Chambre des dĂ©putĂ©s dĂ©clarait Ă  propos de nos futaies : " TrĂ©sor inestimable, miraculeusement Ă©chappĂ© Ă  l'emprise des villes tentaculaires, paradis des campeurs, des randonneurs, des estivants, des alpinistes, des mycologues, des peintres et de tous les citadins affamĂ©s d'air pur, avides de dĂ©tente, Ă©pris de beautĂ©, la forĂȘt de Fontainebleau devrait ĂȘtre Ă©rigĂ©e depuis longtemps en Parc National. Ce ne sont pas seulement les amis de la forĂȘt de Fontainebleau qui nous y convient, mais l'Ă©tranger lui mĂȘme qui nous presse de le faire. " 
Loiseau affirme aussi que le rapporteur insĂ©rĂąt dans son exposĂ© le Manifeste de l'UICN et complĂ©tait son exposĂ©, lui aussi, sur la nĂ©cessitĂ© d'exclure l'armĂ©e de Bleau, notamment des terrains militaires des Trois Pignons. "Je rĂ©pĂšte que le maintien du Bois Rond Ă  l'autoritĂ© militaire ne se concevait que dans l'hypothĂšse oĂč l'Ecole de Saint Cyr serait implantĂ©e ici, cette hypothĂšse Ă©cartĂ©e, il convient de rendre la forĂȘt Ă  sa vĂ©ritable vocation".

A cette Ă©poque, outre la polĂ©mique qui va naĂźtre avec le percement de l'autoroute, l'avenir des 3 000 ha des Trois Pis va bientĂŽt cristalliser toutes les attentions.

Massacre aux Trois Pignons (1935-1979)

Le projet de création d'une autoroute vit le jour en 1935 et fut vivement critiqué. Entre 1952 et 1956, de nombreux groupes ont tenté de s'y opposer en proposant un tracé qui évitait les Trois Pignons pour traverser l'immense plateau de la Beauce.

Ce tracé était pourtant beaucoup plus facile à équiper et aurait permis d'économiser prÚs de 70 millions de nouveaux francs ! Hélas, ils n'eurent pas gain de cause et la construction eut lieu, détruisant au passage le magnifique site des Cavanchelins. C'est à cet endroit décrit dans le guide Loiseau de 1935 que se trouvait l'un des plus beaux ensembles de grottes sous platiÚre.
 
 
Les Trois Pis sont alors un ensemble de propriĂ©tĂ©s privĂ©es que se partagent quelques 2 000 personnes. La proximitĂ© de l'autoroute et de Milly-la-ForĂȘt augmente considĂ©rablement la valeur immobiliĂšre des terrains et attise bien des convoitises. Commence alors le mitage progressif des lisiĂšres de la forĂȘt notamment autour de Noisy-sur-Ecole.

Carte des zones protégées dans les Trois pignons en 2011
Avec l'Ă©chec, en 1957, des opposants Ă  la saignĂ©e de l'autoroute, grimpeurs et randonneurs prennent conscience que pour lutter efficacement contre les menaces qui pĂšsent sur ce lieu unique, il est indispensable de se regrouper. Plusieurs associations se rĂ©unissent pour crĂ©er, en 1962, un ComitĂ© de liaison ; il Ă©tait alors indispensable de rassembler toutes les Ă©nergies afin d'aboutir Ă  la reconnaissance d'utilitĂ© publique de ce domaine exceptionnel oĂč, Ă  cĂŽtĂ© d'activitĂ©s scientifiques, une intense activitĂ© de loisir sportif s'Ă©tait dĂ©veloppĂ©e. Ce ComitĂ© deviendra officiellement le COSIROC (ComitĂ© de dĂ©fense des sites et rochers d'escalade) cinq ans plus tard. Rappelons que ses membres fondateurs Ă©taient le Club Alpin Français (CAF), la FĂ©dĂ©ration Sportive et Gymnique du Travail (FSGT), le GUMS (Groupe Universitaire de Montagne et de Ski), les AFF et le TCF soit les plus importantes associations de l'Ă©poque en matiĂšre d'escalade et de randonnĂ©e ! Parlant d'une seule voix, elle offrait Ă  l'ONF et aux administrations le choix d'un interlocuteur unique.

Outre le COSIROC et ses associations, Loiseau souligne le combat de Pierre Doignon (ANVL), de Robert Lagrange, Inspecteur Régional des Sites et d'autres personnalités locales.

Il souligne aussi, que durant cette affaire des Trois Pis qui va nous occuper pendant plus de 20 ans, la 21e série fut menacée et sauvée notamment par la formidable campagne de presse orchestrée par André Billy.
Parmi les nombreuses tentatives de dĂ©rogation Ă  l'ArrĂȘtĂ© de 1943, les carriers firent la plupart des demandes dont celle Ă©tonnante d'une marbrerie. Le MinistĂšre des Beaux-arts n'y vit aucun problĂšme si l'on en croit la rĂ©ponse qu'il a fait Ă  Loiseau : "...des assurances ont Ă©tĂ© donnĂ©es selon lesquelles le tonnage de sable extrait sera relativement faible et le site reconstituĂ© Ă  mesure du dĂ©placement des exploitations."  On croit rĂȘver. J'aimerai bien un jour que l'on me montre des blocs "reconstituĂ©s" ! Il n'y a qu'Ă  observer les sabliĂšres de Larchant, Maisse, et autres villages pour voir les plaies qu'elles ont laissĂ© dans le paysage malgrĂ© tout les efforts de plantations de leurs propriĂ©taires... LĂ  encore ce projet fut stoppĂ© grĂące aux interventions de bleausards passionnĂ©s comme Loiseau, Doignon, ou Maunoury.

Mais revenons aux affaires militaires et au rĂ©sumĂ© qu'en fait Loiseau. " A la libĂ©ration, les amĂ©ricains transformĂšrent le massif en parc Ă  munitions et matĂ©riel, installant des Ă©coles de tirs Ă  Franchard et ailleurs, funestes obligations de la guerre ! Mais le coup le plus dur portĂ© Ă  l'idĂ©e mĂȘme de la constitution d'un Parc National le fut par l'Etat. L'armĂ©e française exigeait la cession d'un terrain de 160 ha dĂ©pendant de la ForĂȘt de Fontainebleau au sud d'Avon et de part et d'autre de la Route de Moret et appartenant en grande partie Ă  la sĂ©rie artistique. A cette exigence, le MinistĂšre de la Guerre, ajoutait la transformation des presque 4 000 ha des Trois Pignons en champ de manƓuvres ! L'idĂ©e Ă©tait d'y installer l'Ecole toutes armes de St Cyr. L'ArmĂ©e possĂ©dait dĂ©jĂ  l'ancienne propriĂ©tĂ© Vollard."

En effet, en 1952, les 747 ha de la propriĂ©tĂ© Vollard sont achetĂ©s par l’Etat qui y crĂ©Ă© le terrain militaire du Bois Rond ! Une convention est tout de mĂȘme signĂ©e avec l’Administration des Eaux et ForĂȘts pour ouvrir le domaine au public les jours oĂč il n’y a pas de manƓuvres… Une situation totalement intolĂ©rable pour les usagers et riverains au premier desquels se trouvent randonneurs et grimpeurs.

A grand renfort de pĂ©titions, signĂ©es par prĂšs de 500 000 personnes, l'Etat renonce Ă  faire des Trois Pignons, un vaste terrain militaire pour les Saint-Cyriens mais le conservera pour y faire de nombreuses manƓuvres.


 Quelques annĂ©es plus tard, l’Etat s’empare du Coquibus mais cette fois, c'est bien pour sa prĂ©servation. En juillet 1964, Paul Delouvrier constitue un groupe de travail sur les Espaces Verts et les Sites Touristiques qui sera prĂ©sidĂ© par Henri de SĂ©gogne et qui comptera parmi ses membres un autre alpiniste cĂ©lĂšbre : Lucien Devies. Ils proposent l’acquisition par l’Etat de la totalitĂ© du massif des Trois Pignons. Une mesure Ă©galement inscrite dans le plan d'amĂ©nagement du district de Paris qui prĂ©voit de rendre Ă  l'ONF la gestion des Trois Pignons, terrains militaires inclus. Les grimpeurs, en concertation avec l'ONF, renoncent au traçage de circuit dans la rĂ©serve du Coquibus et laisse mourir les circuits qui s'y trouvaient, notamment au Nid d'Aigle.

Pour exproprier les 2 000 propriĂ©taires des Trois Pis, l'Etat doit recourir Ă  une enquĂȘte d'utilitĂ© publique qui est lancĂ©e durant l’annĂ©e 1966. Elle va bien entendu engendrer de trĂšs nombreux dĂ©bats… La commission d’enquĂȘte rendra son rapport le 12 fĂ©vrier 1966 assorti de plusieurs recommandations dont la plus importante est la suivante : « la commission croit devoir recommander instamment l’Ă©viction des militaires le plus rapidement possible. » Suivant l’avis du rapport, le Ministre de l’Agriculture, Edgar Faure signe la DUP le 22 septembre 1967 pour permettre l’acquisition de 2 400 ha dans les cinq ans qui suivent. Les oppositions sont nombreuses, notamment chez les propriĂ©taires (un vieux rĂ©flexe français) et, en mars 1968, Minute publie un brulot sous le titre « Trois Pignons et 1 500 pigeons » qualifiant l’opĂ©ration de prĂ©alable Ă  la crĂ©ation d’un vaste « Luna Park » !

Au fil de l'eau, les plus grandes propriĂ©tĂ©s privĂ©es sont acquises par l'Etat mais il reste l'Ă©pineux problĂšme des terrains militaires dont celui du Bois Rond qui ne peut ĂȘtre totalement ouvert au public contrairement Ă  ce que prĂ©voit la DĂ©claration d'UtilitĂ© Publique (DUP). Le MinistĂšre de l'Agriculture tente de trouver un terrain Ă  Ă©changer et dĂ©voile en 1972 une possibilitĂ© Ă  Nanteau ce qui ne manque pas de provoquer dans ce tranquille coin de Seine-et-Marne une nouvelle levĂ©e de boucliers...

Pendant ce temps, deux gros propriĂ©taires, messieurs Michelin et Veyret, ont posĂ© une requĂȘte d'annulation de la DUP pour "excĂšs de pouvoir". En 1969, le tribunal la dĂ©clare irrecevable mais Monsieur Michelin, loin de se dĂ©courager, porte l'affaire devant le Conseil d'Etat qui se prononce le 6 juillet 1973. La conclusion de la Haute AssemblĂ©e est la suivante : "...considĂ©rant que, tant en raison de son importance que de sa place dans le massif des Trois Pignons, l'exclusion du Domaine du Bois Rond de l'ensemble des terrains destinĂ©s Ă  ĂȘtre ouverts au public ĂŽte Ă  l'opĂ©ration son caractĂšre d'utilitĂ© publique (...) annule l'ArrĂȘtĂ© du Ministre de l'Agriculture du 22 septembre 1967 dĂ©clarant d'utilitĂ© publique l'acquisition par l'Etat du Massif des Trois Pignons".

Nous voilĂ  donc revenu Ă  la case dĂ©part sauf que 1 310 ha ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© acquis, dissĂ©minĂ©s au travers du site. Les acquisitions ne peuvent plus se poursuivre qu'Ă  l'amiable sans aucune garantie d'aboutir. Le ton monte entre le MinistĂšre de l'Agriculture alors tenu par Jacques Chirac et celui des ArmĂ©es de Robert Galley, propriĂ©taire du terrain militaire. Monsieur Chirac Ă©crit Ă  son collĂšgue : (...) " Je suis amenĂ© Ă  vous demander de bien vouloir consigner un nouvel arrĂȘtĂ© dĂ©clarant d'utilitĂ© publique l'acquisition par l'Etat du Massif des Trois Pignons (...) et de retenir favorablement le principe de changement d'affectation du Domaine du Bois Rond". Cette affaire d'Etat nĂ©cessitera un arbitrage du Premier Ministre qui fait signer au deux protagonistes le nouvel arrĂȘtĂ© le 10 mai 1974, prĂ©alable Ă  la reprise des achats. Les propriĂ©taires cĂšdent progressivement mais en 1979, les deux ministĂšres n'ont toujours pas rĂ©ussi Ă  trouver une solution d'Ă©change de terrains. L'arrĂȘtĂ© est donc reconduit jusqu'en 1984.

En 1979, un protocole est signĂ© entre les militaires et les forestiers qui prĂ©voie des restrictions aux manƓuvres des premiers "ne faisant appel ni Ă  des engins chenillĂ©s, ni Ă  des tirs de munitions rĂ©elles"... Enfin ! De plus, "l'espace en question sera ouvert au public et l'entrĂ©e sera gratuite..." Le terrain sera tout de mĂȘme fermĂ© une vingtaine de jours par an. Cette mĂȘme annĂ©e, l'une des derniĂšres grandes propriĂ©tĂ©s, celle des Cordier (140 ha) est acquise.

Au fil des ans, notamment sous la pression des AFF et du COSIROC, l'ONF obtiendra d'avantage de restrictions d'usages des terrains militaires sur son domaine. Les champs de tirs seront fermĂ©s et les terrains des Trois Pignons verront leur surface se rĂ©duire progressivement. On trouve toujours de nombreux dĂ©chets militaires (balles Ă  blancs, grenades Ă  plĂątre, boĂźtes de ration...) ainsi que de dangereux trous de combats dans les pentes du 95,2 ou aux abords de la Canche aux Merciers mais, pour l'essentiel, le massif est dĂ©sormais prĂ©servĂ©.  

Durant ce combat pour la sauvegarde des Trois Pis, les bois de Buthiers - Malesherbes disparaissaient sous le quadrillage des lotisseurs et le Cirque de Larchant Ă©tait la proie des pelleteuses. Le COSIROC intervint rapidement avec d'autres pour faire stopper les constructions de Buthiers et seul quelques rochers ont disparus dans l'enclot de la piscine de la base de loisirs ! 
Une fois l'affaire des Trois Pignons plus ou moins rĂ©glĂ©e, les naturalistes et les associations d'usagers portĂšrent leurs attentions sur le travail de l'administration forestiĂšre. Quand on parle sauvegarde des forĂȘts, suivant que l'on est utilisateurs ou observateur, le combat se porte soit sur le mode de gestion, soit sur le statut...

Le lobby des naturalistes ne cesse lui de rĂ©clamer d'avantage de mesures de protection et obtient d'autant plus de rĂ©sultats que notre conscience Ă©cologique s'Ă©veille ! S'il y a bien longtemps que le mouvement vert est en route, sa montĂ©e en puissance depuis quinze ans est extraordinaire. Nous avons Ă©voquĂ© la crĂ©ation de l'UICN en 1948. Que s'est il passĂ© depuis Ă  l'Ă©chelle de la planĂšte ? Petit Ă  petit, scientifiques et Ă©cologistes ont appris Ă  utiliser les mĂ©dias portant Ă  la vue de tous leur combat en le rendant plus populaire. Il y  les combats contre le nuclĂ©aire, les GPDS, contre la disparition des espĂšces menacĂ©es, contre la dĂ©forestation... jusqu’aux OGM et le rĂ©chauffement climatique. A Bleau, aprĂšs la lutte contre les militaires et les mĂ©thodes de l'ONF, c'est le choix d'un statut plus protecteur qui va cristalliser les tensions. 
Les mentalitĂ©s ayant Ă©voluĂ©, les bleausards sont il prĂȘt Ă  accueillir un Parc National ? 

L'idĂ©e est sĂ©duisante et politiquement correcte. L'Ă©tat pourrait donc peut ĂȘtre compter sur une large adhĂ©sion des associations Ă©cologiques et d'un public tout acquis Ă  la protection de l'environnement. DĂšs le dĂ©but des annĂ©es 90, certains Ă©lus entraient en campagne pour promouvoir cette idĂ©e. Par ailleurs, quelques individus dĂ©cident de faire entendre leur voix et fondent en 1993 le ComitĂ© pour un parc national Ă  Fontainebleau. Militant activement, ils lancent quelques pĂ©titions pour recueillir le soutien de personnalitĂ© et distribuent des tracts sur les marchĂ©s.

Quelques Ă©lus locaux Ă  cette mĂȘme pĂ©riode, ont fait le choix de se regrouper en syndicat pour Ă©tudier la faisabilitĂ© d'un Parc Naturel RĂ©gional dit du GĂątinais français Ă  cheval sur l'Essonne et la Seine-et-Marne. Il s'est dissout aprĂšs avoir rendu un rapport de 700 pages. A sa suite, une charte fut Ă©tablie et soumise Ă  ratification des Ă©lus souhaitant adhĂ©rer au nouveau PNR qui prit forme fin 96. Mais un PNR n'est rien de plus qu'un trĂšs beau logo placĂ© sur les panneaux Ă  l'entrĂ©e des communes qui le composent ! Car vous le savez certainement, ce label a une vocation plus touristique qu'Ă©cologique.

"L'affaire Bleau-combat"
La fin des annĂ©es 90 est donc l'occasion de prĂ©parer le cinquantenaire de la crĂ©ation de l'Union International pour la Conservation de la Nature. Un tel Ă©vĂšnement ne pouvait qu'appeler Ă  d'importantes manifestations Ă  Fontainebleau. Pour lui donner plus de poids, outre les diffĂ©rents monuments commĂ©moratifs, confĂ©rences et expositions, il fallait proposer une mesure de grande envergure. C'est l'occasion pour le comitĂ© pour un parc national de promouvoir son idĂ©e. Sa campagne politique et mĂ©diatique dĂ©bute plutĂŽt bien. De nombreuses personnalitĂ©s du monde des arts, de la culture, des sciences... soutiennent le mouvement et la presse s'empare petit Ă  petit du sujet. Mais dĂ©jĂ , certaines associations font entendre une voix discordantes soulignant que le PN n'est peut ĂȘtre pas le meilleur choix Ă  faire pour Fontainebleau. Dans la forĂȘt, on commence Ă  voir fleurir, notamment sur tous les panneaux ONF, des stickers blanc et vert prĂŽnant la crĂ©ation du parc.
Certains usagers n'apprĂ©cient que moyennement cette pollution visuelle qui nuit Ă  la bonne lecture des panneaux directifs. Bleau Combat regroupe une poignĂ©e d'activistes issus du ComitĂ© pour le Parc National de Fontainebleau. Entre les AFF et eux, le ton monte d'autant plus vite que les propos de Bleau Combat se radicalisent. Une relecture de la presse quotidienne et hebdomadaire rĂ©gionale permet de se faire une idĂ©e du climat de tension qui rĂ©gnait en forĂȘt de Fontainebleau de 1995 Ă  1999.
En effet, fin 1994, ce groupuscule, outre les tracts et les pĂ©titions qu'il fait circuler passe Ă  l'action plus musclĂ©e. Ils entrent en guerre contre les travaux forestiers, tout d'abord en taguant de tous les noms d'oiseaux certains panneaux et bĂątiments de l'ONF, puis en saccageant les chantiers d'exploitation de la forĂȘt. Ils vont ainsi incendier des vĂ©hicules, crever des pneus, sabler les rĂ©servoirs des tracteurs, arracher les semis et stopper certaines coupes d'arbres en plantant des clous dans les troncs... Pris en flagrant dĂ©lit, plusieurs membres du ComitĂ©, dont son prĂ©sident, passeront les fĂȘtes de NoĂ«l en prison.

Leur mouvement se veut inspirĂ© de mĂ©thodes utilisĂ©es aux Etats Unis comme le revendique leur site internet. C'est oublier un peu vite l'Ă©tĂȘtage des pins par les peintres de Barbizon au XIXe, vĂ©ritables prĂ©curseurs en la matiĂšre ! L'ONF ne dĂ©colĂšre pas et c'est sans parler de celle des exploitants.

Les bĂ»cherons, rappelons le, travaillent pour des sociĂ©tĂ©s privĂ©es et indĂ©pendantes de l'Administration. En effet, celle-ci met en vente aux enchĂšres les coupes Ă  venir sous forme de lots. Une fois vendues, le rĂŽle de l'Office se borne au contrĂŽle des coupes (abattage des sujets sĂ©lectionnĂ©s, respect du cahier des charges...) En plus des pertes financiĂšres qu'entraĂźnent ces actes de vandalisme pour les bucherons, ces derniers craignent dĂ©sormais pour leur santĂ©. En effet, lorsqu'on manipule des tronçonneuses, on sait qu'un clou qui rencontre une chaĂźne peut la faire Ă©clater quoi qu'en disent les Ă©co-terroristes. L'accident s'il n'est pas mortel peut, sans aucun doute, entraĂźner de trĂšs graves blessures et lĂ , plus personne ne rigole.

Devant la multitude d'actions conduites par nos Ă©co-guerriers et les dĂ©pĂŽts de plaintes qui s'en suivent, la justice ne pouvait attendre. Ainsi, les trois principaux membres actifs de Bleau Combat se retrouvĂšrent devant les tribunaux non sans faire la Une des journaux mettant sur le devant de la scĂšne la polĂ©mique autour de la crĂ©ation d'un Parc National. En attendant leur jugement, les "Ă©co-guerriers" campent dans les arbres de la ville de Fontainebleau, histoire d'ĂȘtre vus au congrĂšs de l'UICN oĂč vont bientĂŽt dĂ©filer d'importantes personnalitĂ©s françaises et Ă©trangĂšres dont le PrĂ©sident Chirac et le Ministre de l'Environnement Dominique Voynet.

 
Un Parc national Ă  Fontainebleau longuement Ă©tudiĂ© en 1998
Heureusement pour nous la plupart des associations locales sont elles aussi mobilisĂ©es depuis plusieurs annĂ©es. Le COSIROC par exemple, publie dans un communiquĂ© de son Conseil d'Administration datĂ© du 13 avril 1995, sa position motivĂ©e en 6 pages. Le comitĂ© a choisi de dĂ©fendre le statut de forĂȘt de protection. Cette prise de position ne variera pas, mĂȘme si les arguments avancĂ©s seront lĂ©gĂšrement modifiĂ©s au fil des mois. Les AFF hĂ©sitent dans un premier temps avant de s'engager eux aussi, contre le Parc National.
 
L'Etat, par la voix de son PrĂ©fet, met en place le comitĂ© ad-hoc tant rĂ©clamĂ© par les AFF pour que les associations d'usagers mais aussi de naturalistes se prononcent sur le choix du statut. Pour prĂ©sider ce Groupe de rĂ©flexion sur l'avenir de la forĂȘt de Fontainebleau, il fait appel au Professeur Jean Dorst du MusĂ©um d'histoire naturelle. Ce dernier connait bien notre forĂȘt et a publiĂ© en 1991 un rapport sur sa sauvegarde Ă  la demande du ministĂšre de l'environnement.

Le COSIROC y est reprĂ©sentĂ© par Oleg Sokolsky. Le premier travail du Groupe est d'Ă©tablir un ProcĂšs Verbal d'Ă©tat des lieux. Ce prĂ©alable aux travaux engendre de vives discussions notamment sur la place des activitĂ©s humaines en forĂȘt et surtout, sur le pĂ©rimĂštre Ă  Ă©tudier. En effet, parle t'on de massif tel qu'il a Ă©tĂ© dĂ©fini par Loiseau ou simplement des forĂȘts domaniales ? En tout Ă©tat de cause, chaque association y travaille et agit pour prĂ©server au mieux les intĂ©rĂȘts de ses adhĂ©rents. Ainsi, le COSIROC a adressĂ© le 29 juin 1998 un courrier pour rectifier la liste des zones oĂč l'escalade est autorisĂ©e (45 sites au lieu des 15 comptĂ©s dans la future Notice de gestion). Mieux, il fait acter que l'escalade se pratique librement Ă  l'intĂ©rieur des parcelles forestiĂšres en dehors des RBI.

En parallĂšle de la rĂ©flexion en cours dans ce groupe, le 16 septembre 1998, il est ordonnĂ© par arrĂȘtĂ© prĂ©fectoral l'ouverture d'une enquĂȘte publique du 9 au 31 octobre sur le projet de classement en forĂȘt de protection du massif de Fontainebleau.


Dans le trente cinquiĂšme numĂ©ro de la revue ENEE s'adressant aux Ă©lus et dĂ©cideurs, on pouvait lire en 1998 un trĂšs intĂ©ressant article intitulĂ© :"Le classement en ForĂȘt de Protection pour une prĂ©servation durable du massif de Rambouillet". Preuve que ce statut intĂ©ressait de nombreux sites franciliens. En dehors du parallĂšle Ă©vident avec notre affaire, l'article rappelait notamment que : " le schĂ©ma directeur d'amĂ©nagement et d'urbanisme de la rĂ©gion d'Ile-de-France (SDAURIF) a Ă©tĂ© publiĂ© le 26 avril 1994. Il consacre le dĂ©but de son chapitre 3 Ă  la prĂ©servation et Ă  la valorisation des espaces boisĂ©s et paysagers (...) Le SDAURIF prĂ©voit en effet, le classement en ForĂȘt de Protection des massifs forestiers les plus sensibles : Fontainebleau (20 000ha), Rambouillet (23 000 ha) et SĂ©nart (3 400 ha), afin d'assurer leur conservation et leur protection comme composante du patrimoine naturel rĂ©gional." (...) "Au 1er janvier 1994, soixante six forĂȘts pour 80 000 ha (surtout situĂ©es en montagne) Ă©taient classĂ©es Ă  ce titre et celle de SĂ©nart Ă©tait en cours de classement." L'article Ă©tait signĂ© de J.P. Blanchelande, "chargĂ© de mission au MinistĂšre de l’Environnement, Conseiller RĂ©gional et Ă©lu des Yvelines."

On peut lĂ©gitiment s'interroger sur le choix de ce statut visiblement plutĂŽt destinĂ© aux forĂȘts de montagne. Son intĂ©rĂȘt rĂ©side dans le fait qu'il rend totalement inaliĂ©nables les bois classĂ©s c'est Ă  dire qu'il est impossible d'en changer l'affectation ou de les rendre "constructibles" sauf Ă  passer par une action en justice devant le Conseil d'Etat! 
L'enquĂȘte publique attire de trĂšs nombreuses personnes physiques et morales qui donnent leur avis sur la question en allant consulter les documents mis Ă  leur disposition.   A cette date plusieurs personnalitĂ©s scientifiques et artistiques se sont engagĂ©es pour la crĂ©ation du premier parc national de plaine ou pĂ©riurbain. Nous pensons que bon nombre d'entre eux ont signĂ© sans avoir une idĂ©e trĂšs prĂ©cise du sujet et de notre forĂȘt. Il est plus valorisant de soutenir un label aussi prestigieux que celui d'un PN que de dĂ©fendre l'obscure statut de forĂȘt de protection. C'est pourtant le choix de la plupart des associations locales d'usagers.

Enfin, pendant que les associations, les naturalistes et les Ă©lus locaux planchent sur le choix d'un nouveau statut, le monde bleausard observe avec impatience la transformation de la ville de Fontainebleau en capitale mondiale de l'Ă©cologie. Du 3 au 5 novembre,   le PrĂ©sident Chirac y accueillera les reprĂ©sentants des 138 pays membres de l'UICN et les 300 scientifiques qui les accompagnent. Bien entendu, les pro-parc mais aussi les anti ONF sont prĂ©sents et la polĂ©mique envahie la presse nationale oĂč les propos partisans sont de plus en plus nombreux. Ainsi, le magazine Terre sauvage publie un article au parti pris remarquable en faveur d'un Parc National. Le courrier de la nature, dans son n° 173 de septembre 1998 publiera un article sĂ©rieux et complet sur le massif de Fontainebleau. On en lira beaucoup d'autres Ă  cette pĂ©riode... comme par exemple l'article de L'Ă©venement du jeudi du 11 novembre 1998 sur les Ă©co-guerriers. 

Mais au fait, pourquoi un statut aussi prestigieux que celui d'un parc national n'a t'il pas fait l'unanimité ?

D'aprÚs la Loi du 22 juillet 1960, un PN est un territoire classé en vue de protéger sa faune, sa flore, son sol et sous-sol. "Il importe donc de préserver ce milieu contre tout effet de dégradation naturelle et de le soustraire à toute intervention artificielle susceptible d'en altérer l'aspect, la composition et l'évolution. "

L'article L.241.3 du décret précise que le Conseil d'Etat peut choisir un régime particulier pour le PN en matiÚre de droit de chasse, de circulation du public et toute action nuisible à la conservation du site.

Dans un article du Monde signĂ© par Sylvia Zappi, on pouvait lire, qu'en l'Ă©tat actuel des textes et notamment en se basant sur la Loi du 22 juillet 1960 ou le Code Rural, "rien ne peut s'opposer Ă  la crĂ©ation d'un Parc National Ă  Fontainebleau sur une surface Ă©valuĂ©e Ă  32 000 ha." Une affirmation renforcĂ©e par la Division de la Nature et des Paysages (DNP) du MinistĂšre qui estimait que :" Rien n'est interdit dans cette Loi. Si on voulait, on pourrait classer le Bois de Boulogne". Des propos modĂ©rĂ©s ensuite par le cabinet de Madame Voynet qui rappelait que "le site de Fontainebleau est assez Ă©loignĂ© de l'idĂ©e que l'on peut se faire d'un Parc National." C'est peu dire !

Les PN ont Ă©tĂ© bĂątis autours d'une zone centrale interdite ou trĂšs limitĂ©e en accĂšs et d'une zone pĂ©riphĂ©rique destinĂ©e Ă  l'accueil du tourisme et Ă  l'exploitation de certaines ressources notamment agricoles. Compte tenu de la surface de la forĂȘt et de sa gĂ©ographie actuelle (prĂ©sence de villages, de routes, d'autoroute, de voies ferrĂ©es) de nombreux usagers se sont lĂ©gitimement interrogĂ©s sur les contraintes qu'auraient un tel statut sur leur forĂȘt et leur vie quotidienne. Il leur est vite apparu comme une Ă©vidence qu'il serait impossible de crĂ©er ici une zone centrale interdite au public et qu'accepter un PN traversĂ© par autant de voies de circulation constituait un prĂ©cĂ©dent dangereux pour la pĂ©rennitĂ© des autres parcs. De plus ce label trĂšs touristique ne manquerait pas d'entraĂźner un surcroĂźt de frĂ©quentation dans sa pĂ©riphĂ©rie mettant inĂ©vitablement en danger l'Ă©quilibre Ă©cologique du site dĂ©jĂ  fort menacĂ©. Il faut aussi ajouter l'immanquable spĂ©culation immobiliĂšre que cela engendrerait et que le statut de PNR comme celui de ForĂȘt de Protection n'ont su d'ailleurs Ă©viter !
 
Chose intĂ©ressante, le statut de parc national a Ă©tĂ© modifiĂ© en 2006. Ainsi, "la rĂ©glementation du parc national et la charte peuvent, dans le cƓur du parc (...) soumettre Ă  un rĂ©gime particulier et, le cas Ă©chĂ©ant, interdire la chasse et la pĂȘche, les activitĂ©s commerciales, l'extraction des matĂ©riaux, l'utilisation des eaux, la circulation du public quel que soit le moyen empruntĂ©, le survol du cƓur du parc Ă  une hauteur infĂ©rieure Ă  1000 mĂštres du sol, toutes les actions susceptibles de nuire au dĂ©veloppement naturel de la faune et de la flore, et plus gĂ©nĂ©ralement d'altĂ©rer le caractĂšre du parc national."
Il s'agit donc bien de rĂ©glementer strictement au cƓur des parcs l'ensemble des activitĂ©s humaines afin de sauvegarder les espĂšces et milieux naturels qui s'y dĂ©veloppent.

En 2012, la France compte 10 parcs nationaux dont deux sont situĂ©s en outre-mer. A l'exception de celui de l'Ăźle de Port-Cros et des Calanques, tous sont situĂ©s en moyenne et haute montagne dans des zones de faible densitĂ© dĂ©mographique, assez peu frĂ©quentĂ©es et aux activitĂ©s Ă©conomiques Ă  faible impact sur l'environnement.

La protection au cƓur des parcs est assurĂ©e par un Ă©tablissement public dĂ©pendant du MinistĂšre de l'Ă©cologie. En dehors de celui des CĂ©vennes, la chasse y est interdite. PlacĂ©s Ă  l'Ă©cart des grandes agglomĂ©rations, ils constituent de vastes espaces sauvages, assez difficiles d'accĂšs ce qui permet le dĂ©veloppement d'espĂšces rares ou menacĂ©es telles le loup, le lynx ou l'ours. Si juridiquement rien ne s'oppose Ă  la crĂ©ation d'un parc national de plaine pĂ©riurbain en forĂȘt de Fontainebleau, cette mesure nous parait toujours inadaptĂ©e, inopportune et totalement inutile.

Le professeur Jean Dorst et les trente membres de son comitĂ© avaient rendu en 1999 leur rapport motivĂ© dans ce sens. Dix ans aprĂšs, leurs arguments sont toujours valables. Pour nous (AFF, Cosiroc...) comme pour eux, la crĂ©ation d'un tel parc Ă  Bleau risquerait de brouiller dangereusement l'image des autres parcs nationaux en instituant un prĂ©cĂ©dent grave. En effet, notre forĂȘt resterait traversĂ©e par 144 km de routes et autoroutes Ă  trĂšs fort trafic. Sauf Ă  exclure les grimpeurs, randonneurs, promeneurs de Bleau, la frĂ©quentation de ce parc serait dix fois supĂ©rieure Ă  celle du plus frĂ©quentĂ© des PN français : celui des PyrĂ©nĂ©es. On peut aussi s'interroger sur la possibilitĂ© de crĂ©er une zone centrale en forĂȘt de Fontainebleau, complĂštement incompatible avec la frĂ©quentation actuelle, et sur la cohabitation entre l'ONF et un nouvel organisme.

On l'a vu, durant cette pĂ©riode de dĂ©bats une partie des forĂȘts de l'Essonne constituant le vaste domaine des Bleausards firent l'objet d'une mesure de classement en Parc Naturel RĂ©gional. Il s'agit du PNR du GĂątinais Français. 

L'UICN ne pouvait fĂȘter son anniversaire sans recevoir un cadeau ! Il fut donc dĂ©cidĂ© de classer un trĂšs vaste territoire (70 000 ha), appelĂ© Pays de Fontainebleau en rĂ©serve Man and BiosphĂšre (MAB) et inscrit comme tel au patrimoine de l'UNESCO. Peu connu, cette grande rĂ©serve internationale visant au maintient de la biodiversitĂ© devrait ĂȘtre beaucoup plus valorisĂ©e. C'est assez symptomatique mais Ă  aucun moment, lorsque vous traversez ce territoire, vous n'apercevrez de panneau vous indiquant que vous ĂȘtes sur un site classĂ© UNESCO. D'ailleurs, en dehors des panneaux des rĂ©serves biologiques, les seuls visibles sont ceux du PNR du GĂątinais.

En 2002, l'ensemble du massif forestier, c'est Ă  dire, y compris les Trois Pignons, la Commanderie, et les bois privĂ©s et communaux environnants, soit 27 000 hectares, a Ă©tĂ© classĂ© en forĂȘt de protection aprĂšs dix ans de lutte des plus grandes associations locales. HĂ©las, les permis de construire dĂ©livrĂ©s avant n'en sont pas pour autant annulĂ©s, d'oĂč les nombreuses constructions rĂ©centes faites Ă  Arbonne - la - ForĂȘt mais aussi et surtout, Ă  Noisy - sur - Ecole. Celles-ci ont considĂ©rablement rongĂ© les lisĂšres des Trois Pignons, prouvant une fois de plus qu'avec de l'argent, l'Ă©cologie devenait une prĂ©occupation secondaire...
 
Au total, avec les ZNIEF, les zones Natura 2000 dont le document fixant les objectifs fut adopté en 2006 et les précédentes mesures, c'est plus de dix-sept textes et statuts qui veulent protéger Bleau mais sans aucun organisme pour réellement contrÎler et coordonner leur application en dehors d'un Comité Consultatif des usagers siégeant en Préfecture et aux pouvoirs somme toute limités...

Enfin, l'ONF est bel et bien restĂ© le gestionnaire des forĂȘts domaniales. Bref, rien n'a vraiment changĂ© et de nouveaux labels ont depuis Ă©tĂ© mis Ă  l'Ă©tude ! A l'automne 2008, l'ONF lançait la ForĂȘt de Patrimoine, label Ă©cologique et paysagĂ© issu d'une rĂ©flexion avec quelques uns de ses homologues Ă©trangers. En effet, depuis 2003 un projet europĂ©en baptisĂ© INTERREG qui consiste Ă  Ă©laborer une politique d'accueil du public tout en prĂ©servant les milieux remarquables et les espĂšces a Ă©tĂ© lancĂ© sur les sites pilotes de Fontainebleau et de New Forest en Angleterre. Les actions entreprises dans ces deux massifs seront comparĂ©es pour en mesurer l'impacte sur la biodiversitĂ©. LĂ  encore, rien de bien nouveau mais un dĂ©but de rĂ©flexion sur l'accueil du public, les moyens nĂ©cessaires pour le rĂ©ussir et contraindre d'avantage les utilisateurs Ă  respecter le milieu.

En 2008, l'Etat, ses collectivitĂ©s locales, l'ONF, et des associations dont les AFF ont signĂ© un protocole par lequel ils s'engagent Ă  Ă©laborer un programme d'actions pluriannuel valorisant notre patrimoine forestier. C'est Ă  ce titre que Fontainebleau reçoit ce label de "forĂȘt de patrimoine". D'autres forĂȘts devraient suivre d'ici Ă  2011.


Enfin, le Grenelle de l'environnement et ses conclusions font craindre le pire aux associations. En effet, il y fut envisagĂ© de crĂ©er trois nouveaux parcs nationaux dont un en milieu forestier de plaine... Voici l'amorce du retour de la grande polĂ©mique de 1998 ? Mais le contexte actuel est bien diffĂ©rent de celui de 1998.

En effet, depuis, la France a changĂ© de PrĂ©sident. Les Ecologistes ont remportĂ©s plusieurs succĂšs politiques notables et la sauvegarde de l'environnement est devenue une nĂ©cessitĂ© impĂ©rieuse pour bon nombre de personnes. La conscience Ă©cologique des français s'est peut ĂȘtre Ă©veillĂ©e avec la diffusion des films de Nicolas Hulot et Yann Arthus Bertrand. On sait, le climat se rĂ©chauffe, la faune, la flore et l'homme sont en danger ! Les politiques ont eux aussi pris le sujet au sĂ©rieux et mĂȘme si le Grenelle de l'environnement n'a pas donnĂ© grand chose, il a permis quelques avancĂ©es notables. Ainsi donc, on peut Ă  nouveau Ă©tudier l'opportunitĂ© de crĂ©er un PN Ă  Bleau...
 
En 2003, l'AssemblĂ©e Nationale Ă©tudie les modifications qu'il conviendrait d'apporter Ă  la Loi sur les parcs nationaux.  L'ancienne loi est rĂ©putĂ©e trop dure par les Ă©lus, ce qui expliquerait pourquoi on a crĂ©Ă© si peu de parcs en France. La nouvelle, tout en voulant donner plus de place aux hommes qui vivent ou frĂ©quentent ces espaces remarquables, va introduire, du moins dans l'esprit, plus d'interdits notamment en matiĂšre d'urbanisme. Elle sera donc modifiĂ©e en 2006
 
Mais elle ne fait pas l'unanimité. En effet, son application à la Réunion fait craindre le pire aux insulaires. On parle de projets immobiliers, de privatisation des accÚs aux sites touristiques et notamment au cratÚre du volcan. Dans les Pyrénées, c'est Jean Vassale, député, et président de Montagne du Monde qui mÚne la fronde contre cette loi. Enfin, la création du Parc National des Calanques a cristaliser les tension pendant plus de 12 ans et l'opposition n'est pas terminée.

A Bleau, l'ensemble des associations de pratiquants de loisirs de pleine nature fut convoqué en novembre 2009, à la demande du Maire de Fontainebleau pour débattre à nouveau du sujet, sur la base de la Loi modifiée en 2006. Il faut dire qu'en mars avait lieu les élections régionales et que l'UMP comptait bien faire de Bleau le Parc National du Grand Paris ! Au secours...

DĂšs ette premiĂšre sĂ©ance, l'ensemble des usagers a clairement signifiĂ© Ă  monsieur le Maire une vive opposition au projet. MĂȘme si la gauche a largement remportĂ© ces Ă©lections, mĂȘme si le MinistĂšre de l'Ecologie a choisi une autre forĂȘt pour faire ce nouveau Parc National, la Mairie de Fontainebleau n'a pas lĂąchĂ© le morceau. En fĂ©vrier 2011, le Maire de Fontainebleau et le prĂ©sident de l'UICN France ont remis Ă  la Ministre de l'Environnement le rapport trĂšs consensuel de 200 pages rĂ©digĂ© par le comitĂ© de pilotage.Bien que soulignant constamment le soit disant consensus autour de l'idĂ©e d'un parc national Ă  Fontainebleau, les associations d'usagers (et notamment l'AAFF) montrent leur opposition. A tel point que le Maire nous promet maintenant la crĂ©ation d'un parc d'un nouveau genre Ă  inventer pour 2020 ! Autrement dit, signons lui un chĂšque en blanc pour crĂ©er un parc national inadaptĂ© sur la base de la loi de 2006 et il se chargera de la contourner pour faire autre chose !

Bref, le débat autour de la création d'un Parc National à Fontainebleau en 2020 ne fait que commencer...

En 2011, Bleau est une des forĂȘts de France qui cumule le plus de statuts et projets adoptĂ©s pour sa sauvegarde (rĂ©serves biologiques, classement Loi 1960, zone natura 2000, ZNIEFF, forĂȘt de protection, Parc naturel rĂ©gional du GĂątinais, rĂ©serve M&B de l'UNESCO, projet de label "patrimoine"...) !

AppliquĂ©s Ă  100%, l'ensemble de ces textes garantissent un trĂšs haut niveau de protection. Encore faut il que l'Etat dote le gestionaire de cet espace (l'Office National des ForĂȘts) de moyens consĂ©quents pour les faire appliquer.
Citons ici un exemple : la parcelle privĂ©e des Rochers de la SĂ©gognole (Trois Pignons, sur la commune de Noisy-sur-Ecole) qui abritent de magnifiques rochers et trois circuits d'escalade Ă©tait en vente depuis plusieurs mois fin 2010 (38 000 € nĂ©gociables pour 7 000 m² de bois inconstructibles et classĂ©s). Le Cosiroc a alertĂ© l'ONF mais l'Office n'avait pas les moyens d'acheter cette parcelle dans l'urgence !

Il faut dire que l'ONF dĂ©pend du ministĂšre de l'Agriculture et non de l'Environnement. Cela signifique que sa vocation premiĂšre est de produire du bois (rentabilitĂ©) et non de les protĂ©ger... C'est donc le Club Alpin Français qui a du se porter acquĂ©reur pour soustaire ces 7 ha Ă  l'appĂ©tit des promoteurs.

Bleau reçoit chaque année plus de 14 millions de visites !
Nous sommes situĂ©s Ă  60 km de la capitale et Ă  quelques minutes de trĂšs grosses agglomĂ©rations (Melun, Evry, Corbeil...). C'est pour tous ces visiteurs  urbains l'un des rares espaces de libertĂ© et de verdure encore libre d'accĂšs et gratuit. Fontainebleau, c'est le poumon vert de l'Ăźle-de-France.

Le dĂ©bat autour du choix du statut de parc national Ă  Fontainebleau n'a rien de nouveau. Il est relancĂ© trĂšs rĂ©guliĂšrement soit pas des politiques Ă  des fins Ă©lĂ©ctoralistes (dĂ©fendre la nature c'est plutĂŽt vendeur), soit les lobbies naturalistes qui rĂ©clament une meilleure protection. Nous souhaitons que cette protection se fasse dans le respect des hommes et des femmes qui viennent ici depuis des siĂšcles en Ă©vitant la mise sous cloche de la forĂȘt.




Affaire Ă  suivre !
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